Pour l’amateur de « grand large » et d’histoire(s) romanesque, la généalogie oblige souvent au retour à une réalité plus prosaïque mais non dénuée de charme : l’ascendance de la plupart d’entre-nous (à de rares exceptions près) est composée en grande partie d’honnêtes laboureurs plus ou moins riches, et l’on rattache rarement son histoire familiale à la grande Histoire, ou à l’exotisme des pays lointains.
Néanmoins, il ne faut jamais désespérer du hasard, quand parfois la généalogie passe du statut d’auxiliaire de sciences très sérieuses comme la démographie ou l’histoire, à la version familiale du roman d’aventures. On a alors parfois l’impression de dérouler une pelote de laine dont on ne voit pas le bout et qui vous fait aller de surprise en surprise…
Je souhaitais ainsi vous raconter la petite histoire de François AUGUSTIN dit THIONVILLE et, étape par étape, faire défiler la pelote qui m’a fait voyager de Neuville Vitasse, modeste village du Pas-de-Calais, à Thionville, Paris ou encore Cuba…
Remontant mon ascendance maternelle dans le Pas-de-Calais, je notais la naissance de mon ancêtre Alexandrine AUGUSTIN le 12/02/1766 à Neuville Vitasse de François AUGUSTIN dit THIONVILLE « vivant de son bien » et Marie Isabelle LIEURE. Un tour de manivelle plus loin , je n’eus aucun mal à découvrir le mariage des parents le 09/10/1765, où cette fois le marié était déclaré âgé de 30 ans, originaire de Thionville et « sergent dans le régiment de la Couronne (compagnie de Saint Géry) en garnison à Arras ». Mais, premier mystère, la mention des parents du marié laissait la place à une ligne en blanc… Le nom de famille –AUGUSTIN, issu d’un prénom- et son état de militaire me firent penser qu’il s’agissait probablement d’un enfant de l’assistance publique que l’on avait poussé vers le métier des armes. La dispense de Monseigneur l’évêque de Metz et la mention de sa commune d’origine pouvaient néanmoins me laisser espérer un acte de naissance.
Muni de la maigre mention de son régiment, je fis néanmoins le déplacement au Service Historique de l’Armée de Terre, archives du ministère de la Défense rassemblées au Fort de Vincennes. J’y appris avec plaisir que le registre d’incorporation du régiment de la Couronne était consultable, et après quelques pages, ce fut le ravissement : j’avais devant moi la notice concernant mon ancêtre que je vous livre ci-dessous :
François AUGUSTIN dit THIONVILLE
né à Thionville, fils de Dominique AUGUSTIN et feue Elisabeth PRUNE
enrôlé le 13/08/1755 et congédié le 04/09/1765 moyennant 150
boulanger avant son incorporation
"a les cheveux, les sourcils blonds, yeux bleus un peu enfoncés, le nez gros, au bout une cicatrice sous le nez, la lèvre supérieure avancée". taille: 5 pieds 2 pouces 5 lignes
référence: registre d'enregistrement des soldats composant le 5e bataillon du régiment de la Couronne, réalisé le 10/02/1763 à Versailles (cote 1Yc 431aux Archives de Vincennes)
Outre l’intérêt de la description physique de mon ancêtre, je venais de débloquer le verrou puisque l’acte mentionnait ses parents !
Ragaillardi par cette trouvaille, je me rendis à la bibliothèque généalogique rue de Turbigo à Paris : la consultation de la base de données des mariages de Moselle ne pouvait laisser de place au doute, un seul couple pouvait faire l’affaire : Dominique AUGUSTIN et Catherine PRUNET mariés à Thionville le 22/12/1733. Les mariages filiatifs me permirent alors de remonter de trois générations la famille AUGUSTIN. Mais, je n’avais que des noms et des dates. Je contactais donc Charles Schneider, qui proposait des recherches aux archives de Moselle alors que je pouvais l’aider pour ma part sur le Pas-de-Calais.
Grâce aux photos numériques qu’il m’envoyait, je pouvais déchiffrer moi-même les actes originaux et noter tous les renseignements qui me semblaient utiles. Je ne tardais pas à m’apercevoir que j’avais mis la main sur plusieurs familles bourgeoises de Thionville. Reprenant les mariages de collatéraux de mes ancêtres, je découvris que Elisabeth AUGUSTIN, sœur de mon ancêtre François, avait épousé le 13/01/1761 à Thionville Christophe MERLIN et que ces derniers étaient les parents du fameux député de Moselle pendant la Révolution Française, Antoine MERLIN de THIONVILLE !
Cette découverte m’ouvrait de nouvelles perspectives de recherche et la pelote continuait de se dérouler ! En effet, un rapide tour sur internet me montrait la place éminente qu’avait occupé MERLIN de THIONVILLE pendant la période révolutionnaire.
Né le 13 septembre 1762 à Thionville dans une famille bourgeoise, il habita rue de la Tour où l'on peut voir encore sa maison familiale. Avocat au Parlement de Metz, fils d'un procureur du bailliage de Thionville, il fut élu en 1791 député à l'Assemblée législative. Il jouera ensuite un rôle de premier plan lors de la journée du 10 août 1792 à la tête des émeutiers. Ce fait d’armes reconnu lui vaudra d’être réélu par la Moselle à la Convention. Montagnard affirmé, il demandera la mort de «Capet » dès le 1er octobre 1792. Absent lors du vote pour le jugement de ce dernier, Merlin se prononcera pour la mort dans une lettre adressée à la Convention. Celle-ci l’avait nommé commissaire aux Armées du Rhin et de la Moselle; il participa à la défense de Mayence puis fut envoyé en mission en Vendée. Le 9 Thermidor, il prit parti contre Robespierre. On le retrouve au comité de Sûreté générale après cette date, puis président de la Convention, du 8 au 31 août 1794. A cette dernière, il fut le défenseur de Danton et de Camille Desmoulins. Sa carrière politique s'active au lendemain du 18 Brumaire mais élu au Conseil des Cinq-Cents en 1798, MERLIN y perd toute influence et décide de se retirer de la vie politique. Il échappe ensuite à la proscription qui frappe les régicides grâce à son absence au moment du vote et demande alors pardon à Louis XVIII pour ses " erreurs de jeunesse ".
Je ne reviendrais pas ici plus en détail sur la carrière et la vie de MERLIN de THIONVILLE ni sur son ascendance paternelle, un article du bulletin du cercle généalogique de Lorraine et plusieurs ouvrages consultables à la Bibliothèque Nationale de France le font parfaitement. Mais je m’attarderai brièvement sur les frères d’Antoine MERLIN qui ont tous connu la gloire et les honneurs lors de la période révolutionnaire. Ainsi Antoine François MERLIN (né le 26/01/1765 Thionville, décédé 30/09/1842 Merbes le Château dans le Hainaut) terminera sa carrière militaire comme général de brigade d’infanterie, Gabriel Jean Baptiste MERLIN (né le 17/04/1768 Thionville, décédé 27/01/1842 Versailles), fut lui aussi général de brigade, mais aussi baron d’Empire depuis janvier 1809 et gouverneur de la place de Strasbourg en 1818. Quant à Christophe Antoine MERLIN (né le 27/05/1771 Thionville, décédé 09/03/1839 Paris), il a son nom sur l’Arc de Triomphe à Paris et connut sans doute l’existence la plus romanesque de la famille, le hasard me permit d’en découvrir les grandes lignes.
En effet, me promenant sur internet à la recherche de renseignements sur la famille MERLIN, je tombais sur un site cubain intitulé « Habana elegante » (« La Havane élégante ») où l’on faisait le récit de la vie fastueuse d’une jeune cubaine de la meilleure société, Maria de las Mercedes SANTA CRUZ Y MONTALVO fille du comte Joaquin SANTA CRUZ Y CARDENAS (d’origine espagnole) et de Maria Teresa MONTALVO Y O’FARRILL (probablement d’origine irlandaise) née à la Havane le 05/02/1789…
C’était une jeune femme d’une beauté éblouissante, dont la maison de famille était la plus courue de toute l’île de Cuba à la fin du XVIIIe siècle. Le salon mondain de sa mère accueillit ainsi le futur roi Louis Philippe, de passage dans les Caraïbes. Une fois l’Espagne conquise par les armées napoléoniennes, la jeune fille se rendit dans la péninsule ibérique où son oncle 0’Farrill exerçait les fonctions de ministre de la guerre du Roi d’Espagne. Joseph Bonaparte tomba rapidement sous le charme de Teresa MONTALVO, mère de Maria de las Mercedes et veuve depuis peu, qui avait sur lui semble-t-il une influence considérable.
Je me permets ici de citer l’article (traduit) trouvé sur ce site internet cubain : « l’intimité de la famille Montalvo avec Joseph Bonaparte était telle que ce dernier décida de marier Maria de las Mercedes avec son officier préféré Christophe Merlin, à qui il donna le titre de comte. Bien que le mariage soit imposé par le roi, Maria de las Mercedes ne repoussa pas le fringant officier lorrain qui lui plaisait. Bien qu’il soit deux fois plus âgé et sans origine noble, Merlin était un officier de caractère énergique et doté d’un doux regard. Sa brillante carrière militaire en avait fait un ami de Joseph Bonaparte, dont il était l’aide de camp en Espagne, et de Napoléon Bonaparte lui-même ». La comtesse elle-même raconte ainsi cet épisode dans ses mémoires, en commençant par l’argumentation de sa mère qui pousse au mariage: « le général Merlin entre définitivement au service du roi Joseph et restera en Espagne. Le roi l’attache particulièrement à sa personne et le fait, en le mariant, capitaine-général de sa garde. Le général Merlin est un militaire distingué et fort estimé. L’Empereur vient d’écrire à son frère en lui demandant le général Merlin ou le général La Salle pour commander une division de cavalerie près de lui en Autriche ; mais comme le roi Joseph connaît particulièrement le général Merlin, il le garde et envoie La Salle à l’Empereur ». En conséquence, une rencontre est organisée : « le soir, le général Merlin fut présenté à ma mère. Son extérieur me parut froid et sévère ; il me sembla plus homme du Nord que les autres Français qui l’étaient déjà beaucoup à mes yeux : tout cela sans me déplaire m’en imposa d’abord. Du reste, Merlin était un beau militaire : il portait son uniforme de hussard pour lequel il conservait une prédilection et il le portait à merveille ; il me parut simple et naturel dans ses manières, bien qu’un peu timide, sans doute parce qu’il désirait plaire ». Le général Merlin était de son côté passionnément amoureux et l’on raconte ainsi cette anecdote : « - Général Merlin demanda Joseph Bonaparte, si un roi (lui-même en l’occurrence ! NDLR) faisait la cour à votre femme, que feriez-vous ?
- Je le tuerais sire
- Ce Merlin est intraitable, reprit le roi en s’adressant aux personnes qui l’entouraient. Il n’entend pas la plaisanterie ».
Merlin était si désireux de s’attirer les faveurs de sa future épouse qu’il parvint à obtenir la grâce de deux jeunes déserteurs espagnols devant être fusillés le jour de son mariage, le 10/10/1809, car la comtesse de Santa Cruz s’était émue de leur sort.
Mais une fois la défaite de Napoléon consommée, le couple revint à Paris, évolua un temps dans la cour factice de Joseph Bonaparte avant de s’émanciper sans pouvoir conquérir la confiance de la nouvelle cour royale : Christophe MERLIN était décidément trop marqué par son passé bonapartiste…
Cependant, le salon mondain de Maria de las Mercedes, rue de Bondy à Paris (aujourd’hui rue René Boulanger dans le Xe arrondissement), devint vite l’un des plus courus de la capitale. On y vit parader Victor Hugo, Alfred de Musset, Georges Sand, Alexandre Dumas, Balzac, Rossini ou La Fayette… La « belle créole » comme on la surnommait connut une aventure sentimentale avec Jérôme Bonaparte, et Chateaubriand restait pour sa part fasciné par celle qu’il appelait « la plus belle femme ». Néanmoins, l’étoile de la comtesse de MERLIN commençait déjà à pâlir.
Maria de las Mercedes mourut à Paris le 31/03/1852, treize ans après son époux qu’elle a rejoint au cimetière du Père Lachaise, où figurait déjà la tombe de Antoine MERLIN de THIONVILLE (décédé le 14/09/1833) jouxtant le mausolée du Maréchal NEY.
On retrouvera dans l’article de Paul Michelon la descendance de Antoine MERLIN de THIONVILLE, mais je pense être le premier à pouvoir donner, grâce aux renseignements communiqués par Mme Adriana Mendez, professeur de littérature hispano-américaine à l’Université de Iowa (Etats-Unis) et spécialiste de la comtesse de Merlin, plus de précisions sur les quatre enfants de Christophe MERLIN et Maria de las Mercedes SANTA CRUZ. Ils eurent ainsi Maria de las Mercedes Josefa Teresa Ana (née en 1812 à Madrid) qui épousa Firmin Désiré GENTIEN DE DISSAY puis Louis Marie de FERRY, François Dieudonné (officier dans l’armée, né en 1814, mort en 1900), Gonzale Christophe (né en 1816, mort en 1887 à la Havane) et Annette Elisabeth Joséphine (née en 1818, décédée en 1821). De la même manière, toutes les publications se sont attachées à l’ascendance paternelle de MERLIN de THIONVILLE , mais aucune n’a pris la peine de pousser plus avant son ascendance maternelle. Vous trouverez plus loin l’état de mes recherches basées sur les registres de BMS de Thionville dont je n’ai peut-être pas utilisé toutes les ressources (témoins, parrains et marraines) mais il me semble que seuls d’éventuels registres de bourgeoisie de Thionville ou les archives notariales de la même ville pourraient faire progresser ce crayon généalogique. Je ne peux terminer sans faire état des interrogations qui pèsent encore sur cette ascendance et les hypothèses qui en ont découlé :
L’acte de mariage de François AUGUSTIN laissait en blanc le nom des parents, or si sa mère était déjà décédée, son père, Dominique AUGUSTIN, était lui encore bien vivant. Comment expliquer qu’il ne cite pas son nom lors de son mariage alors qu’il a donné le nom de ses deux parents lors de son incorporation au régiment de la Couronne (avec néanmoins une erreur sur le prénom de sa mère) ? Pourquoi et comment le fils d’un « procureur et avocat au Parlement exerçant au bailliage de Thionville » se retrouve boulanger avant son incorporation, puis militaire partant en garnison lointaine ? Je n’ai pu m’empêcher, dans cette histoire à rebondissements, d’imaginer un fils turbulent, en conflit avec son père ou avec la justice locale, obligé de devenir militaire et désireux, à son mariage, de couper tout lien qui pourrait le relier à sa famille d’origine…
Cette histoire n’est pas finie et me réserve encore, je l’espère, beaucoup de petits plaisirs, de rencontres et de découvertes. De celles qui font la joie du généalogiste !
Vous trouverez ci-dessous l’ascendance maternelle de MERLIN de THIONVILLE et de ses frères.
BIBLIOGRAPHIE (pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus) :
- Domingo Figarola Caneda « La Condesa de Merlin. María de la Merced Santa Cruz y Montalvo. Estudio bibliografico e iconografico ». Paris. Editions Excelsior, 1928.
- Paul Michelon “Une vieille famille lorraine: la famille Merlin (Thionville-Bruyères)” in Bulletin du cercle généalogique de Lorraine. N°15, 1er trimestre 1975
- Paul Albert «Une famille lorraine : les Merlin de Thionville » Metz. 1949
- Roger Merlin « Merlin de Thionville d’après des documents inédits » Paris. Alcan. 1927. 2 volumes
- P.H. Le Mire « Ascendance et parenté maternelle » Boulogne. 1977
- Jean Reynaud « Vie et correspondance de Merlin de Thionville » Paris. 1860
- Pierre Brasme « La Moselle et ses soldats » Editions Serpenoise. 1999
- « Souvenirs et mémoires de madame la comtesse Merlin. Souvenirs d’une créole ». Mercure de France. Paris. 1990
- Louis Marin « l’inauguration de la place et de la statue des trois Merlin à Thionville en novembre 1954 » extrait du « Pays Lorrain »
- le tableau « le conventionnel Merlin de Thionville à l’armée du Rhin » de Nicolas Toussaint CHARLET se trouve au musée du Louvre
Ascendance de Elisabeth AUGUSTIN et François AUGUSTIN dit THIONVILLE
1ère génération
1 AUGUSTIN Elisabeth, ° 16/06/1737 Thionville 57 F, + 16/04/1820 Commenchon 02 F, x 13/01/1761 Thionville 57 F avec MERLIN Christophe, huissier puis procureur au bailliage de Thionville
1 bis AUGUSTIN dit THIONVILLE François, ° 28/02/1735 Thionville 57 F, + p1784, x 09/10/1765 Neuville Vitasse 62 F Marie Isabelle LIEURE, sergent au régiment de la Couronne
Enfants du 1 :
-1. MERLIN DE THIONVILLE Antoine Christophe (13/09/1762-14/09/1833), x BLAISE Anne, xx DE LEPEL Amélie Charlotte
- 2. MERLIN Antoine François (26/01/1765-1842)
- 3. MERLIN Gabriel Jean Baptiste (17/04/1768-1842)
- 4. MERLIN Christophe Antoine (27/05/1771-1839), x SANTA CRUZ Y MONTALVO Maria de las Mercedes
- 5. MERLIN Marie Anne (01/12/1776-), x DELISLE N...
Enfants du 1 bis :
-1. Alexandrine Marie AUGUSTIN (12/02/1766-13/08/1838), x Fidel Joseph BULCOURT
- 2. Marie Thérèse AUGUSTIN (30/12/1764-02/01/1765)
2ème génération
2 AUGUSTIN Dominique, ° 05/12/1707 Thionville 57 F, + p1763, x 22/12/1733 Thionville 57 F
procureur au bailliage de Thionville et notaire royal aux baptêmes de ses enfants Nicolas et Elisabeth
est "avocat au Parlement exercant au bailliage de Thionville" à son acte de mariage
est « garde-marteau dans la ville de Metz » au mariage de sa fille Elisabeth
3 PRUNET Elisabeth ou Catherine, ° v1710 Thionville?, + a1761
3ème génération
4 AUGUSTIN Damien, ° v1683 Veymerange?, + p1734 , x 01/03/1707 Thionville 57 F