Oui.. je sais.. cela fait longtemps que je n'ai pas nourri ce blog.. mais une descendance occupe encore plus qu'une ascendance!! Pour me faire pardonner, un article qui m'a échappé lors de sa sortie au mois de mars sur le blog du chroniqueur scientifique du "Monde" Pierre Barthélémy mais que je poste avec retard car il est extrêmement intéressant et tout à fait dans la ligne des sujets traités par ce blog
L’homme qui ne descendait pas d’Adam
Il s'appelait Albert
Perry. Décédé il y a quelques années, c'était un Afro-Américain vivant
en Caroline du Sud, lointain descendant d'esclaves que la traite
négrière avait amenés d'Afrique de l'ouest dans le Nouveau Monde. On
n'en saura guère plus sur lui, si ce n'est, comme le rapporte le New Scientist, qu'un
jour, une de ses parentes envoya un échantillon contenant son ADN à une
entreprise proposant d'en extraire des informations sur ses origines.
Ces tests de généalogie génétique sont réalisés à partir d'ADN
mitochondrial, qui est transmis par la mère à ses enfants et retrace la
lignée maternelle (la mère, la grand-mère maternelle, la mère de
celle-ci, etc.), ou bien – et seulement pour les mâles – à partir du
chromosome Y. Celui-ci donnera des informations sur la lignée paternelle
(le père, le grand-père paternel, son père, etc.).
Lorsque l'échantillon
d'Albert Perry atterrit dans le laboratoire chargé d'effectuer cette
analyse, un problème inédit apparut : la séquence génétique portée par
son chromosome Y ne ressemblait à rien de connu. Pour le dire autrement,
on peut faire remonter tous les chromosomes Y des hommes de la Terre au
plus récent ancêtre masculin commun, un homme qui vivait en Afrique il y a environ 140 000 ans.
Ce dernier est surnommé l'« Adam génétique » en référence au premier
homme de l'Ancien Testament (il y a aussi une Eve mitochondriale). Mais
le chromosome Y d'Albert Perry ne descendait pas de cet Adam-là.
Cette surprenante exception
a poussé une équipe internationale à approfondir les recherches sur ce
chromosome Y si particulier et les résultats de ce travail viennent d'être publiés dans l'American Journal of Human Genetics (AJHG).
Puisque, de toute évidence, l'Adam génétique d'il y a 140 000 ans
n'était plus le bon, tout l'arbre phylogénétique du chromosome Y humain,
qui retrace sa généalogie dans le monde entier, était à reconstruire.
En comparant entre elles les variations génétiques de différents groupes
ethniques, en les comparant aussi avec celles de notre proche cousin le
chimpanzé et en estimant la vitesse à laquelle ces mutations
apparaissent, ces chercheurs ont pu remonter dans le temps et greffer
l'arbre généalogique précédemment en vigueur sur un tronc plus ancien
d'où partait la branche qui a porté le chromosome Y d'Albert Perry.
Et l'arbre a pris un bon
coup de vieux. Selon leurs calculs, le nouvel Adam génétique, l'ancêtre
dont sont issus le chromosome Y de tous les hommes actuels et le chromosome Y d'Albert Perry, vivait toujours en Afrique, mais il y a près de 340 000 ans. Comme l'a déclaré au New Scientist Jon
Wilkins, du Ronin Institute dans le New Jersey, qui n'a pas pris part à
cette étude, depuis que l'on fait de la génétique on a « regardé les chromosomes Y. Déplacer à ce point la racine de l'arbre du chromosome Y est extrêmement surprenant. »
Mais en plus de constituer une surprise, ce
bouleversement pose un gros problème de date, tout simplement parce
que, il y a 340 000 ans, l'homme moderne n'était pas encore né ! D'après
les données fossiles, son apparition date d'il y a environ 200 000 ans.
Comment Albert Perry, qui était sans nul doute un Homo sapiens, a-t-il pu se retrouver porteur d'un chromosome Y datant d'un Homo
"archaïque" alors que tous ses congénères disposaient d'une version
plus récente ? Casse-tête ? Pas vraiment si l'on considère que le
scénario de l'évolution de l'homme est non pas linéaire mais semblable à
un buisson dont les branches se séparent... puis se recroisent. Une
hypothèse probable est que, il y a plusieurs milliers d'années, le
groupe ethnique d'Homo sapiens dont Albert Perry est descendu
s'est mélangé avec un groupe d'humains "archaïques". Ces derniers ont
aujourd'hui disparu mais ils ont, lors de cet échange de gamètes, réinjecté dans la population d'hommes modernes un chromosome Y
qui n'y était plus présent sous cette forme. Un chromosome qui s'est
ensuite transmis de père en fils pendant des générations et des
générations, jusqu'à Albert Perry... et à quelques autres.
En explorant des bases de
données génétiques, les auteurs de l'étude ont fini par mettre la main
sur les Mbo, un peuple africain vivant dans le sud-ouest du Cameroun,
dans la région du Littoral. Dans cette base de données se trouvaient 11
hommes Mbo (sur 174 enregistrés) dont le chromosome Y présentait des
caractéristiques analogues à celles du chromosome Y d'Albert Perry –
lequel était probablement leur lointain cousin. Les chercheurs notent
que les Mbo vivent à moins de 800 kilomètres du site préhistorique
nigérian d'Iwo Eleru, où des paléoanthropologues ont établi qu'Homo sapiens a cohabité et s'est reproduit avec les descendants d'une lignée plus ancienne.
Pour ces généticiens, une découverte comme celle du chromosome Y
d'Albert Perry souligne à quel point les bases de données sont
lacunaires : « Il est probable, écrivent-ils, qu'une bien
meilleure compréhension de la phylogénie du chromosome Y, et des
variations génétiques en général, serait obtenue si des relevés plus
denses et plus réguliers étaient effectués dans toute l'Afrique
subsaharienne, étant donné son haut niveau de diversité génétique. »