Pour fêter la naissance de mon fils Laris le 21 mars dernier, voici un de mes articles paru dans la revue "Nord Généalogie" de mars 2017
Grâce à
l’ascendance publiée par Jean Castelain dans Nord Généalogie numéro 176 de 2002, un certain nombre de
généalogistes, dont moi-même, se sont découverts un rattachement à des familles
du patriciat yprois et brugeois, ainsi que de la petite noblesse flamande, au
travers des ancêtres de la famille de Wulf dont une membre, Jossine, s’allia
vers 1600 avec Nicolas Legay, rewart de La Bassée (descendance dans de
nombreuses communes des Weppes et à Steeenwerck notamment). L’un des rameaux de
cette ascendance avait été mis à jour par Rik Castelain (sans lien de parenté
avec Jean Castelain), et publié dans un article de 1988.
Rik Castelain avait étudié les diverses familles qui avaient possédé le fief de
Bellegem
et il parvenait au couple Jean van Outryve, chevalier et seigneur d’Outryve
décédé vers 1371, et son épouse Aelis Mouton. Je m’attarderai un peu plus bas
sur Jean van Outryve et sa famille, mais celle qui m’intéresse principalement dans
le cadre de cet article est son épouse, Aelis Mouton.
Dans un article précédent, publié
dans le numéro 220 de Nord Généalogie,
j’avais déjà pu apporter une identification plus précise d’Aelis et des compléments
d’ascendance la concernant, sur la base de travaux très référencés de Paul-Armand du Chastel de la Howarderie, principalement son
étude de 1903 « Les Mouton à
Tournai : généalogie, notes et fragments généalogiques », et
l’article « Généalogie de la famille
tournaisienne Mouton »
Dans cette ascendance
reconstituée par Chastel de la Howarderie, j’avais noté avec intérêt le
patronyme de Jehanne de le Vingne, épouse de Jaquemes Mouton et arrière-grand-mère
paternelle d’Aelis Mouton. En effet, je savais que la famille de le Vingne
avait exercé un droit exclusif de monnayage à Tournai et se l’était transmis de
père en fils sur plusieurs générations, devenant ainsi l’une des trois familles
les plus importantes de la ville avec celle des châtelains et celle des avoués.
Le statut social de Jaquemes Mouton, prévôt de Tournai à trois reprises entre
1277 et 1280, pouvait amplement justifier une alliance avec la famille de le
Vingne, d’autant que cette dernière avait légèrement perdu de son lustre depuis
la décision de Philippe Auguste en 1202 de lui retirer l’exclusivité de ce
droit de monnayage qui avait constitué la base de son rayonnement, et qui fut
désormais étroitement encadré.
Le roi de France, qui
avait pris possession de la ville en 1187, estimant que le droit de monnayage
était un droit souverain et n’appartenait donc pleinement qu’à lui seul, exigea
d’Everard de le Vingne qu’il lui abandonnât le tiers des droits de
seigneuriage, c’est-à-dire des profits que pouvait rapporter la frappe
monétaire. Everard de le Vingne, son « vassal » (homo noster dans l’acte de 1202), et ses successeurs pourraient
continuer à diriger l’exploitation de l’atelier mais ils ne pourraient
désormais plus fabriquer de pièces d’une valeur supérieure à une maille (la
moitié d’un denier, ailleurs appelée obole), et si la fabrication laissait un
déficit, ils seraient les seuls à le supporter. Ces clauses restrictives eurent
pour effet de rendre bientôt non-rentable la fabrication monétaire à Tournai,
et de réduire à néant le privilège dont jouissaient les de le Vingne depuis
plus de deux siècles. Il ne semble pas en effet qu’on ait frappé des monnaies à
Tournai après 1202, ce qui était bien entendu le résultat que recherchait
Philippe Auguste.
Mon intuition me disait
qu’il y avait peut-être encore matière à progresser sur l’ascendance de Jehanne
de le Vingne mais il me fallait trouver des informations plus détaillées sur
cette famille. Un ouvrage s’imposait comme source prioritaire : en 1968 François
de Cacampavait
publié une synthèse quasiment exhaustive de cette famille au Moyen Âge
,
sur la base des travaux de plusieurs érudits qui avaient dépouillé des milliers
de documents relatifs aux de le Vingne
avant la
destruction des archives de Tournai en 1940. L’achat de cet ouvrage très
référencé me confirma que mon intuition était bonne. Jehanne se rattachait bien
à cette grande famille et son ascendance nous faisait faire un bond de plus de
deux siècles.
Certes, François de
Cacamp avait l’honnêteté d’apporter le bémol suivant : « la filiation
de dame Jehanne de le Vingne n’est pas établie en toute certitude » car,
en effet, il n’y a pas de document original qui ait été relevé où Jehanne serait
spécifiquement mentionnée comme fille de Everard III de le Vingne. Le faisceau
d’indices lui avait néanmoins semblé suffisamment concordant pour qu’il fasse
figurer Jehanne parmi les enfants de ce dernier, dans l’étude comme dans le
tableau généalogique joint.
Mon opinion rejoint
celle de François de Cacamp. Il n’y a pas de preuve formelle, il est donc
important de le signaler comme tel. Néanmoins toute personne pratiquant la
généalogie sait que dans un certain nombre de cas (dont le pourcentage augmente
exponentiellement plus on remonte dans le temps), les filiations deviennent
affaire de faisceau d’indices concordants et d’intime conviction. Il n’y a
souvent plus d’acte filiatif formel mais une forte présomption qui doit être
signalée comme telle, et dont la subjectivité apparente ne doit pas pour autant
bloquer les recherches.
Dans le cas qui nous
concerne, il est tout à fait vraisemblable que Jaquemes Mouton, représentant de
l’élite montante, noue une alliance profitable avec une représentante de la
vieille élite en perte de vitesse. Un schéma absolument classique qui se répètera
d’ailleurs entre les deux mêmes familles deux générations plus bas.
La filiation entre les
trois Everard de le Vingne et leurs prédécesseurs Gossuin et Thierry surnommés
tous les deux « le monétaire » (voir plus bas) est d’ailleurs elle-même
basée sur un faisceau d’indices concordants, dont le principal est la détention
de ce droit exclusif de monnayage à Tournai.
L’ascendance d’Aelis
Mouton se présente donc comme suit :
1.
Aelis MOUTON, majeure en 1349 où
elle est déjà mariée à Jean van OUTRYVE, dont six enfants
2. Jaquemes dit Baucant MOUTON, échevin de
Saint-Brice, et probablement également prévôt de Tournai, +avant
septembre 1342 (teste paroisse Saint-Brice le 01/03/1339) Epouse avant 1324
3. Aelis NAICURE
4. Gilles MOUTON, conseiller de Tournai, échevin
de Saint-Brice et probablement prévôt de Tournai, + entre novembre 1331 (testament) et
octobre 1332. Epouse
5. N.. BUCHIAU (ou BUCIAU), décédée avant
février 1305
6.
Colart NAICURE, mort avant 1324
.
Epouse
7.
Catherine de BIETUNE (NDLR de BETHUNE)
8. Jaquemes MOUTON, prévôt de Tournai et
échevin de Saint-Brice, + entre janvier 1310 (testament) et 1314. Avec son
épouse Jehanne, furent enterrés dans la chapelle des Mouton en l’église
Saint-Brice, sous un sarcophage conservé encore au début du XXe siècle au musée
de la halle aux draps de Tournai. Epouse
9. Jehanne DE LE VINGNE, + avant janvier
1310
10.
Colart BUCHIAU, probablement de la
famille de Jean BUCHIAU, 54e évêque de Tournai de 1261 à 1266
16.
Watier MOUTON, juré de Tournai, +
entre mars 1266 (où il teste en la paroisse Saint-Brice) et 1280, x2
Jehanne DUMORTIER (sa première épouse, mère de Jaquemes, est inconnue)
18.
Everard III de le VINGNE,
« homme noble », décédé probablement avant 1233
32.
probablement Brice (ou Bricion) DE LE
BRUIERE dit Mouton, échevin de Saint-Brice à Tournai à partir de 1220.
Epouse
33.
Juliane. A son sujet Chastel de la
Howarderie écrit « on lit dans un chirographe de novembre 1256 que cette
dame était mère de Watier Mouton lequel avait déjà pour fils Jakemes »
36.
Everard II de le VINGNE, décédé vers
1200. Au sujet de son épouse potentielle de Cacamp écrit « on peut
supposer qu’il aurait épousé une fille d’un seigneur de Marquain, car Everard
III, son fils aîné, fut seigneur de ce village. Au XIIe siècle le principal
seigneur de Marquain n’est autre que le châtelain de Tournai en personne, et ce
n’est pas sans raison que plusieurs auteurs ont considéré la famille de le
Vingne comme directement apparentée à celle des châtelains » (NDLR la
famille des Radoul, seigneurs de Mortagne et châtelains de Tournai)
72.
Everard I « le Monétaire » dit
de le Vingne (de Vineã), surnom
attesté à partir de 1151. Décédé probablement vers 1166. Au sujet de sa
filiation, de Cacamp écrit « la première mention de ce personnage est de
1145. Il est cité dans une charte comme fils de Gossuin, homme lige de l’évêque
et possesseur du fief de la Maïère de Tournai, comme ayant donné son
consentement au don que l’évêque Simon fit à l’abbaye de Saint-Nicolas des Près
d’une maïère par semaine. Si l’on considère que la Maïère et les droits qui en
résultaient étaient un fief tenu de l’évêque et que ce fief fut en possession
de Tetbert puis de son frère Thierry le Monétaire, que Thierry laissa un fils
Gossuin et qu’Everard, fils de Gossuin dit de le Vingne, fut également
monétaire, on ne peut douter de la filiation que nous donnons ci-après. Tous
les historiens qui ont étudié le Tournai médiéval, jusqu’à Paul Rolland, l’ont
d’ailleurs reconnu ».
144.
Gossuin « le Monétaire »,
cité avec son père dans deux actes de 1119 et 1123. Décède avant 1145. Epouse
145.
Sarre d’AVESNES
288.
Thierry « le Monétaire »,
chevalier au service de l’évêque de Tournai, frère de Tetbert et Raoul d’Osmont.
Hériman, dans sa chronique
,
précise qu’il était l’homme le plus riche de la ville de Tournai (selon toute
probabilité en numéraire mais pas comme propriétaire foncier). De Cacamp écrit
également « le rang que tenaient les trois frères à Tournai vers la fin du
XIe siècle ne le cédait à personne, si ce n’est au châtelain Everard I, ancêtre
de la lignée des Radoul, et à l’avoué Fastré ». Thierry est mort
probablement après 1130
290.
Fastré d’AVESNES, avoué de Tournai
et seigneur d’Avesnes. Décédé après 1111. Epouse
291.
Richilde, décédée après 1111
576.
N. d’OSMONT ( ?) A son sujet, de
Cacamp écrit « on ignore le nom du personnage qui fut le père de Tetbert,
de Raoul et de Thierry, mais il y a tout lieu de supposer qu’il joignait à des
charges honorables dans la Cité, la qualité de maire domanial héréditaire de
Kain, domaine de l’abbaye lotharingienne de Cornelismunster, et qu’il épousa la
fille d’un monétaire tournaisien du XIe siècle ».
Se basant sur Hériman,
de Cacamp suggère que les trois frères, Tetbert, Raoul et Thierry, seraient les
descendants d’un des chevaliers de Noyon amenés avec lui par Foucher, évêque de
Noyon, lorsqu’il prit également possession du siège épiscopal de Tournai en
954.
580.
Fastré d’OISY( ?), avoué de
Tournai, mort autour de 1092. A propos de son origine de Cacamp écrit « aucun document à notre connaissance ne
lui donne de nom de famille et les affirmations de certains auteurs selon
lesquelles il serait issu de la maison d’Oisy ne nous ont pas convaincu. Comme
les ancêtres paternels des de le Vingne, Fastré était sans doute le descendant
d’un des chevaliers noyonnais introduits à Tournai par Foucher. Hériman assure
que l’évêque avait donné l’avouerie à l’un d’eux ». Epouse
581.
Ide d’AVESNES
1162.
Wedric d’AVESNES, sire d’Avesnes et
de Leuze
,
mort en 1066 (1076 ?)
LA FAMILLE DE JEAN VAN OUTRYVE
Même
si la famille van Outryve ne dispose pas d’une ascendance aussi lointaine que
celle de la famille Mouton, elle n’est pas dénuée d’intérêt pour autant…
Comme
mentionné précédemment, Jean et Aelis Mouton avaient eu six enfants. Parmi
ceux-ci mon ancêtre Richard avait eu une carrière administrative intéressante.
On le retrouve en effet bailli de Douai en 1381
,
et encore en 1383 ou 1384. Puis il sera également bailli d’Ypres du 24/10/1386
au 08/05/1390
.
Il n’était pas rare pour les rejetons de familles de petite noblesse de mener
une carrière administrative au service du comte pour accéder à un statut social
plus élevé. Cette « vocation administrative » avait souvent un
caractère familial, de père en fils ou, dans le cas des van Outryve, d’oncle en
neveu, puisque l’oncle de Richard (et frère de Jean), Roger van Outryve, fut
également bailli d’Alost entre le 20/09/1367 et le 07/01/1368, bailli d’Ypres
au moins le 30/03/1369 et enfin bailli de Gand du 08/01/1375 au 05/09/1379,
date à laquelle il fut assassiné par les Gantois révoltés.
On
ne connaît pas les parents de Roger et Jean, et l’hypothèse qui circule au
travers de plusieurs publications (et également sur internet) selon laquelle
ils seraient fils de Jean et N.. de POTTES, est rejetée par Rik Castelain dans
plusieurs de ses articles
.