FRANCAIS

L'histoire en tant que science et champ d'études est en pleine mutation.
Grâce aux apports constants de l'archéologie, de la génétique, ainsi qu'à la confrontation avec d'autres sciences humaines (anthropologie, sciences sociales) ou "sciences dures" (démographie, biologie, statistiques) ce que l'on pensait acquis sur l'histoire et la généalogie des peuples est constamment enrichi et remis en question.
Ce blog a pour objet d'informer sur certaines découvertes qui modifient (ou pourraient modifier) nos connaissances sur nos ancêtres, des premiers homo sapiens jusqu'à nos grands-pères...


ENGLISH

History as a science and a field of study is undergoing significant changes.
Thanks to the contribution of archaeology, genetics, as well as exchanges with other human sciences (anthropology, social sciences) or "hard sciences" (demography, biology, statistics), historical and genealogical facts that were once considered to be established or "written in stone" are now being questioned, revised and enriched.
The aim of this blog is to inform and discuss current discoveries that modify (or could modify) what we know about our ancestors, from the first homo sapiens to our grandfathers...



mercredi 29 mars 2017

Une ascendance tournaisienne jusqu'à l'an Mil

Pour fêter la naissance de mon fils Laris le 21 mars dernier, voici un de mes articles paru dans la revue "Nord Généalogie" de mars 2017


Grâce à l’ascendance publiée par Jean Castelain dans Nord Généalogie numéro 176 de 2002, un certain nombre de généalogistes, dont moi-même, se sont découverts un rattachement à des familles du patriciat yprois et brugeois, ainsi que de la petite noblesse flamande, au travers des ancêtres de la famille de Wulf dont une membre, Jossine, s’allia vers 1600 avec Nicolas Legay, rewart de La Bassée (descendance dans de nombreuses communes des Weppes et à Steeenwerck notamment). L’un des rameaux de cette ascendance avait été mis à jour par Rik Castelain (sans lien de parenté avec Jean Castelain), et publié dans un article de 1988[1]. Rik Castelain avait étudié les diverses familles qui avaient possédé le fief de Bellegem[2] et il parvenait au couple Jean van Outryve, chevalier et seigneur d’Outryve[3] décédé vers 1371, et son épouse Aelis Mouton. Je m’attarderai un peu plus bas sur Jean van Outryve et sa famille, mais celle qui m’intéresse principalement dans le cadre de cet article est son épouse, Aelis Mouton.
Dans un article précédent, publié dans le numéro 220 de Nord Généalogie[4], j’avais déjà pu apporter une identification plus précise d’Aelis et des compléments d’ascendance la concernant, sur la base de travaux très référencés de Paul-Armand du Chastel de la Howarderie, principalement son étude de 1903 « Les Mouton à Tournai : généalogie, notes et fragments généalogiques », et l’article « Généalogie de la famille tournaisienne Mouton »[5]

Dans cette ascendance reconstituée par Chastel de la Howarderie, j’avais noté avec intérêt le patronyme de Jehanne de le Vingne, épouse de Jaquemes Mouton et arrière-grand-mère paternelle d’Aelis Mouton. En effet, je savais que la famille de le Vingne avait exercé un droit exclusif de monnayage à Tournai et se l’était transmis de père en fils sur plusieurs générations, devenant ainsi l’une des trois familles les plus importantes de la ville avec celle des châtelains et celle des avoués. Le statut social de Jaquemes Mouton, prévôt de Tournai à trois reprises entre 1277 et 1280, pouvait amplement justifier une alliance avec la famille de le Vingne, d’autant que cette dernière avait légèrement perdu de son lustre depuis la décision de Philippe Auguste en 1202 de lui retirer l’exclusivité de ce droit de monnayage qui avait constitué la base de son rayonnement, et qui fut désormais étroitement encadré.

Le roi de France, qui avait pris possession de la ville en 1187, estimant que le droit de monnayage était un droit souverain et n’appartenait donc pleinement qu’à lui seul, exigea d’Everard de le Vingne qu’il lui abandonnât le tiers des droits de seigneuriage, c’est-à-dire des profits que pouvait rapporter la frappe monétaire. Everard de le Vingne, son « vassal » (homo noster dans l’acte de 1202), et ses successeurs pourraient continuer à diriger l’exploitation de l’atelier mais ils ne pourraient désormais plus fabriquer de pièces d’une valeur supérieure à une maille (la moitié d’un denier, ailleurs appelée obole), et si la fabrication laissait un déficit, ils seraient les seuls à le supporter. Ces clauses restrictives eurent pour effet de rendre bientôt non-rentable la fabrication monétaire à Tournai, et de réduire à néant le privilège dont jouissaient les de le Vingne depuis plus de deux siècles. Il ne semble pas en effet qu’on ait frappé des monnaies à Tournai après 1202, ce qui était bien entendu le résultat que recherchait Philippe Auguste.

 

Mon intuition me disait qu’il y avait peut-être encore matière à progresser sur l’ascendance de Jehanne de le Vingne mais il me fallait trouver des informations plus détaillées sur cette famille. Un ouvrage s’imposait comme source prioritaire : en 1968 François de Cacamp avait publié une synthèse quasiment exhaustive de cette famille au Moyen Âge[6], sur la base des travaux de plusieurs érudits qui avaient dépouillé des milliers de documents relatifs aux de le Vingne[7] avant la destruction des archives de Tournai en 1940. L’achat de cet ouvrage très référencé me confirma que mon intuition était bonne. Jehanne se rattachait bien à cette grande famille et son ascendance nous faisait faire un bond de plus de deux siècles.

Certes, François de Cacamp avait l’honnêteté d’apporter le bémol suivant : « la filiation de dame Jehanne de le Vingne n’est pas établie en toute certitude » car, en effet, il n’y a pas de document original qui ait été relevé où Jehanne serait spécifiquement mentionnée comme fille de Everard III de le Vingne. Le faisceau d’indices lui avait néanmoins semblé suffisamment concordant pour qu’il fasse figurer Jehanne parmi les enfants de ce dernier, dans l’étude comme dans le tableau généalogique joint.

 

Mon opinion rejoint celle de François de Cacamp. Il n’y a pas de preuve formelle, il est donc important de le signaler comme tel. Néanmoins toute personne pratiquant la généalogie sait que dans un certain nombre de cas (dont le pourcentage augmente exponentiellement plus on remonte dans le temps), les filiations deviennent affaire de faisceau d’indices concordants et d’intime conviction. Il n’y a souvent plus d’acte filiatif formel mais une forte présomption qui doit être signalée comme telle, et dont la subjectivité apparente ne doit pas pour autant bloquer les recherches.

Dans le cas qui nous concerne, il est tout à fait vraisemblable que Jaquemes Mouton, représentant de l’élite montante, noue une alliance profitable avec une représentante de la vieille élite en perte de vitesse. Un schéma absolument classique qui se répètera d’ailleurs entre les deux mêmes familles deux générations plus bas.

La filiation entre les trois Everard de le Vingne et leurs prédécesseurs Gossuin et Thierry surnommés tous les deux « le monétaire » (voir plus bas) est d’ailleurs elle-même basée sur un faisceau d’indices concordants, dont le principal est la détention de ce droit exclusif de monnayage à Tournai.

 

L’ascendance d’Aelis Mouton se présente donc comme suit :

 

1.  Aelis MOUTON, majeure en 1349 où elle est déjà mariée à Jean van OUTRYVE, dont six enfants

2. Jaquemes dit Baucant MOUTON, échevin de Saint-Brice, et probablement également prévôt de Tournai,  +avant septembre 1342 (teste paroisse Saint-Brice le 01/03/1339) Epouse avant 1324

3. Aelis NAICURE

4. Gilles MOUTON, conseiller de Tournai, échevin de Saint-Brice et probablement prévôt de Tournai,       + entre novembre 1331 (testament) et octobre 1332. Epouse

5. N.. BUCHIAU (ou BUCIAU), décédée avant février 1305

6. Colart NAICURE, mort avant 1324[8]. Epouse

7. Catherine de BIETUNE (NDLR de BETHUNE)[9]

8. Jaquemes MOUTON, prévôt de Tournai et échevin de Saint-Brice, + entre janvier 1310 (testament) et 1314. Avec son épouse Jehanne, furent enterrés dans la chapelle des Mouton en l’église Saint-Brice, sous un sarcophage conservé encore au début du XXe siècle au musée de la halle aux draps de Tournai. Epouse

9. Jehanne DE LE VINGNE, + avant janvier 1310

10.  Colart BUCHIAU, probablement de la famille de Jean BUCHIAU, 54e évêque de Tournai de 1261 à 1266

16. Watier MOUTON, juré de Tournai, + entre mars 1266 (où il teste en la paroisse Saint-Brice) et 1280,  x2 Jehanne DUMORTIER (sa première épouse, mère de Jaquemes, est inconnue)

18. Everard III de le VINGNE, « homme noble », décédé probablement avant 1233

32. probablement Brice (ou Bricion) DE LE BRUIERE dit Mouton, échevin de Saint-Brice à Tournai à partir de 1220. Epouse

33. Juliane. A son sujet Chastel de la Howarderie écrit « on lit dans un chirographe de novembre 1256 que cette dame était mère de Watier Mouton lequel avait déjà pour fils Jakemes »

36. Everard II de le VINGNE, décédé vers 1200. Au sujet de son épouse potentielle de Cacamp écrit « on peut supposer qu’il aurait épousé une fille d’un seigneur de Marquain, car Everard III, son fils aîné, fut seigneur de ce village. Au XIIe siècle le principal seigneur de Marquain n’est autre que le châtelain de Tournai en personne, et ce n’est pas sans raison que plusieurs auteurs ont considéré la famille de le Vingne comme directement apparentée à celle des châtelains » (NDLR la famille des Radoul, seigneurs de Mortagne et châtelains de Tournai)

72. Everard I « le Monétaire » dit de le Vingne (de Vineã), surnom attesté à partir de 1151. Décédé probablement vers 1166. Au sujet de sa filiation, de Cacamp écrit « la première mention de ce personnage est de 1145. Il est cité dans une charte comme fils de Gossuin, homme lige de l’évêque et possesseur du fief de la Maïère de Tournai, comme ayant donné son consentement au don que l’évêque Simon fit à l’abbaye de Saint-Nicolas des Près d’une maïère par semaine. Si l’on considère que la Maïère et les droits qui en résultaient étaient un fief tenu de l’évêque et que ce fief fut en possession de Tetbert puis de son frère Thierry le Monétaire, que Thierry laissa un fils Gossuin et qu’Everard, fils de Gossuin dit de le Vingne, fut également monétaire, on ne peut douter de la filiation que nous donnons ci-après. Tous les historiens qui ont étudié le Tournai médiéval, jusqu’à Paul Rolland, l’ont d’ailleurs reconnu ».

144. Gossuin « le Monétaire », cité avec son père dans deux actes de 1119 et 1123. Décède avant 1145. Epouse

145. Sarre d’AVESNES

288. Thierry « le Monétaire », chevalier au service de l’évêque de Tournai, frère de Tetbert et Raoul d’Osmont. Hériman, dans sa chronique[10], précise qu’il était l’homme le plus riche de la ville de Tournai (selon toute probabilité en numéraire mais pas comme propriétaire foncier). De Cacamp écrit également « le rang que tenaient les trois frères à Tournai vers la fin du XIe siècle ne le cédait à personne, si ce n’est au châtelain Everard I, ancêtre de la lignée des Radoul, et à l’avoué Fastré ». Thierry est mort probablement après 1130

290. Fastré d’AVESNES, avoué de Tournai et seigneur d’Avesnes. Décédé après 1111. Epouse

291. Richilde, décédée après 1111

576. N. d’OSMONT ( ?) A son sujet, de Cacamp écrit « on ignore le nom du personnage qui fut le père de Tetbert, de Raoul et de Thierry, mais il y a tout lieu de supposer qu’il joignait à des charges honorables dans la Cité, la qualité de maire domanial héréditaire de Kain, domaine de l’abbaye lotharingienne de Cornelismunster, et qu’il épousa la fille d’un monétaire tournaisien du XIe siècle ».

Se basant sur Hériman, de Cacamp suggère que les trois frères, Tetbert, Raoul et Thierry, seraient les descendants d’un des chevaliers de Noyon amenés avec lui par Foucher, évêque de Noyon, lorsqu’il prit également possession du siège épiscopal de Tournai en 954.

580. Fastré d’OISY( ?), avoué de Tournai, mort autour de 1092. A propos de son origine de Cacamp écrit  « aucun document à notre connaissance ne lui donne de nom de famille et les affirmations de certains auteurs selon lesquelles il serait issu de la maison d’Oisy ne nous ont pas convaincu. Comme les ancêtres paternels des de le Vingne, Fastré était sans doute le descendant d’un des chevaliers noyonnais introduits à Tournai par Foucher. Hériman assure que l’évêque avait donné l’avouerie à l’un d’eux ». Epouse

581. Ide d’AVESNES

1162. Wedric d’AVESNES, sire d’Avesnes et de Leuze[11], mort en 1066 (1076 ?)

 

 
LA FAMILLE DE JEAN VAN OUTRYVE
 
Même si la famille van Outryve ne dispose pas d’une ascendance aussi lointaine que celle de la famille Mouton, elle n’est pas dénuée d’intérêt pour autant…
Comme mentionné précédemment, Jean et Aelis Mouton avaient eu six enfants. Parmi ceux-ci mon ancêtre Richard avait eu une carrière administrative intéressante. On le retrouve en effet bailli de Douai en 1381[12], et encore en 1383 ou 1384. Puis il sera également bailli d’Ypres du 24/10/1386 au 08/05/1390[13]. Il n’était pas rare pour les rejetons de familles de petite noblesse de mener une carrière administrative au service du comte pour accéder à un statut social plus élevé. Cette « vocation administrative » avait souvent un caractère familial, de père en fils ou, dans le cas des van Outryve, d’oncle en neveu, puisque l’oncle de Richard (et frère de Jean), Roger van Outryve, fut également bailli d’Alost entre le 20/09/1367 et le 07/01/1368, bailli d’Ypres au moins le 30/03/1369 et enfin bailli de Gand du 08/01/1375 au 05/09/1379, date à laquelle il fut assassiné par les Gantois révoltés.[14]
On ne connaît pas les parents de Roger et Jean, et l’hypothèse qui circule au travers de plusieurs publications (et également sur internet) selon laquelle ils seraient fils de Jean et N.. de POTTES, est rejetée par Rik Castelain dans plusieurs de ses articles[15].
 



[1] Rik Castelain, Enkele lenen in Bellegem en Outryve. XVIe en XVe eeuw, De Leiegouw. avril 1988
[2] Entre Mouscron et Courtrai
[3] Aujourd’hui Outrijve, section de la commune d’Avelgem
[4] Antoine Barbry, Une nouvelle lignée vers la bourgeoisie et la noblesse flamande, Nord Généalogie numéro 220. novembre 2011
[5] In Annales de la société historique et archéologique de Tournai. Nouvelle série, tome 7. 1902
[6] François de Cacamp, Recherches sur les de le Vingne à Tournai depuis le XIe siècle,  Recueil de l’Office généalogique et héraldique de Belgique XV. 1968
[7] Principalement les relevés effectués par l’archiviste Vandenbroeck, dans les années 1860, et par le baron Maurice Houtart (dont la mère était une de le Vingne) au début du XXe siècle.
[8] Possible parenté : sept-dec 1338 (1328?) B 767 dans l'inventaire des archives civiles série B de lachambre des comptes de Lille: Les hommes de fief du comte de Hainaut certifient avoir été présents lorsque le prévôt et les échevins de Valenciennes ont déclaré que la remise des biens de Colart Naicure bourgeois (NDLR de Valenciennes), condamné pour homicide, à eux faite par ledit comte, ne lui portera pas préjudice(…)
[9] Possible parenté : Hues de le Bietune, échevin de Tournai en1241
[10] Historiae Tornacenses, ed. WAITZ dans Monumenta Germaniae historica, Scriptores, XIV
[11] Est-ce Leuze-en-Hainaut ? Certaines sources disent plutôt Liessies (arrondissement d’Avesnes-sur-Helpe)
[12] In Demay, Inventaire des Sceaux de la Flandre. Volume 2. 1873
[13] In H. Nowé, Les baillis comtaux de Flandre, des origines à la fin du XIVe siècle, 1928
[14] D. Merlevede, De Gentse opstand (1379-1385).  Le commun se esmeut , Université de Gand. 2009
[15] En particulier sa critique de l’ouvrage de A. Vanhoutrijve « Familie Van (H)ourijve », parue dans GOKO. 1991