FRANCAIS

L'histoire en tant que science et champ d'études est en pleine mutation.
Grâce aux apports constants de l'archéologie, de la génétique, ainsi qu'à la confrontation avec d'autres sciences humaines (anthropologie, sciences sociales) ou "sciences dures" (démographie, biologie, statistiques) ce que l'on pensait acquis sur l'histoire et la généalogie des peuples est constamment enrichi et remis en question.
Ce blog a pour objet d'informer sur certaines découvertes qui modifient (ou pourraient modifier) nos connaissances sur nos ancêtres, des premiers homo sapiens jusqu'à nos grands-pères...


ENGLISH

History as a science and a field of study is undergoing significant changes.
Thanks to the contribution of archaeology, genetics, as well as exchanges with other human sciences (anthropology, social sciences) or "hard sciences" (demography, biology, statistics), historical and genealogical facts that were once considered to be established or "written in stone" are now being questioned, revised and enriched.
The aim of this blog is to inform and discuss current discoveries that modify (or could modify) what we know about our ancestors, from the first homo sapiens to our grandfathers...



mardi 23 août 2011

La formation du comté de Flandre par Vanderkindere

J’ai souhaité enrichir l’analyse des débuts du comté de Flandre par le chanoine Platelle (voir mon post précédent) en puisant des informations à d’autres sources éclairées sur le sujet, en particulier le grand classique du professeur Léon Vanderkindere « La formation territoriale des principautés belges au Moyen Age » publié à Bruxelles en 1902, qui reste une base essentielle pour qui s’intéresse à l’histoire de la Flandre des deux côtés de la frontière franco-belge.

La Flandre ballottée au sein des empires carolingiens

Il ressort clairement de cet ouvrage que la Belgique, pendant tout le Moyen Age, a été partagée entre les deux royaumes de France et d’Allemagne issus de l’empire carolingien. Cependant, la répartition des territoires entre les fils de Louis le Débonnaire ne cessait de changer et de modifier les frontières, et « ces modifications incessantes troublaient profondément l’administration et ne laissaient guère s’enraciner les sentiments de fidélité dans le cœur des sujets ».
On en arriva à l’année 843 et au fameux traité de Verdun, exceptionnellement important pour l’histoire du nord de la France et de la Belgique. Non pas parce qu’il était destiné à demeurer définitif mais parce que l’Escaut, qui était définie comme ligne de séparation entre la France et l’Allemagne dans ce traité, le demeura pendant des siècles. Le traité entérina la possession par Charles le Chauve de la France actuelle et de la Belgique jusqu’à l’Escaut. Des duchés historiques furent coupés arbitrairement car ce traité, comme ses prédécesseurs et successeurs, cherchait avant tout à faire des « parts à peu près équivalentes. Il ne s’inquiétait ni du caractère ethnique des populations, ni de l’organisation civile et religieuse en place ». Le traité de Meersen d’août 870 confirma la possession de la plus grande partie de la Belgique actuelle par les Carolingiens de France, mais dix ans plus tard la situation était renversée.
A la mort de Louis le Bègue en avril 879, les Rois de la Francia Orientalis (l’Allemagne en quelque sorte) prirent possession de la Belgique entre le Rhin et l’Escaut, mais le marquisat de Flandre demeurait aux fils de Louis le Bègue.

Comment se construit un comté…

Venons-en d’ailleurs à la Flandre ou aux Flandres… Vanderkindere rappelle que les Flandrae sont citées dans la Vie de Saint Eloi dont l’auteur Saint Ouen est mort en 683, et que c’est la forme plurielle qui est presque seule employée au IXe siècle. Le comté primitif de Baudouin « Bras de fer » correspondait sans doute aux doyennés de Bruges, Oudenburg et Aardenburg mais d’autres fonctionnaires royaux partageaient avec lui la région qui devint plus tard le marquisat de Flandre. « Lorsque le traité de Verdun eut, en 843, donné l’Escaut pour limite au royaume occidental, Charles le Chauve reprit la tradition de Charlemagne et, dans cet angle avancé de ses Etats, il constitua un gouvernement militaire, embrassant sous le nom de marche toute une série de cantons. Ce fut l’origine du marquisat de Flandre dont le premier titulaire fut Baudouin ». Dès sa formation, le marquisat comprenait les pagi de Waes, Gand, Courtrai, Tournai, le Mélantois et la Pévèle, par contre l’ancien pays des Atrébates (constitué autour d’Arras) en était certainement exclu. Il n’y a pas de texte qui permettrait d’affirmer que Baudouin 1er et Baudouin II aient porté le titre de marquis, c’est à partir d’Arnoul 1er que l’on trouve cette qualification, souvent couplée à celle de comte (comes) qui était plus ancienne et recouvrait d’autres attributions, davantage judiciaires et administratives.
Vanderkindere, comme Platelle, estime que Baudouin II dit le Chauve « sut mettre à profit les dissensions qui affaiblissaient l’autorité royale pour agrandir son territoire ». Il s’empara ainsi de la place d’Arras en 892 au nez et à la barbe -fleurie- du roi de France Eudes qui la convoitait. Baudouin en fut néanmoins expulsé par Charles le Simple en 899.
Arnoul 1er reprit le flambeau de son père avec plus de succès encore, consolidant et étendant son héritage par une politique habile, énergique et parfois dépourvue de morale. En effet, « rien dans l’organisation politique des anciens royaumes francs ne semblait stable et définitif ; l’audace triomphait aisément d’une légalité incertaine ». Le comte de Flandre, pour contrebalancer les ambitions françaises dans son pré carré se tourna vers l’empereur allemand Otton 1er dont il sera le constant allié, et soutiendra régulièrement les adversaires du roi de France. Parmi les territoires de ce dernier, le comte Arnoul convoitait en effet l’Artois, l’Ostrevant, l’Amiénois et le Ponthieu. Il arriva en grande partie à ses fins en acquérant Arras et Douai.
Mais, menacé par l’étendue et la cohésion croissante du comté renforcé par Arnoul, le roi de France Lothaire -monté sur le trône en 954- profita de la vieillesse de son adversaire et du décès subit de son héritier désigné Baudouin III pour renforcer son contrôle sur la Flandre et « la mutiler » dixit Vanderkindere : il envahit la région en 965 et reconquit l’Artois, l’Ostrevant et tout le pays jusqu’à la Lys. Les conquêtes d’Arnoul 1er étaient annulées. Vanderkindere estime cependant que la confiscation de la partie méridionale du comté ne fut que temporaire et que le roi de France Lothaire les remit au jeune comte Arnoul II, successeur de son grand père Arnoul 1er. Mais la date de la remise est encore débattue par les historiens.

Pour Vanderkindere, le règne de Baudouin IV, successeur d’Arnoul II, « montra une évolution remarquable de la politique flamande ». Les ambitions du nouveau comte se tournaient désormais vers la Lotharingie, et plus précisément vers les marches défensives constituées par Otton 1er sur la frontière de l’Empire. Baudouin tenta sans réussite de prendre Valenciennes par les armes mais l’Empereur ne lui en tint pas rigueur et pour s’attirer l’alliance du comte de Flandre, il lui remit la ville en fief. Ce don, qui donnait naissance à la Flandre impériale, eut lieu aux alentours de l’an 1010.


Un comté qui s’organise en interne

Baudouin IV innova également sur le plan intérieur en organisant les châtellenies qui lui permettaient de « s’assurer dans toute la partie septentrionale du pays la subordination directe et complète des seigneurs qui pour certains (Tournai et Courtrai notamment) avaient jusqu’alors conservé le rang de comtes ». Ces châtellenies prenant alors la place des anciens pagi. On note sur ce point particulier une divergence d’interprétation entre Platelle et Vanderkindere. Pour le premier nommé, le comte dut s’accommoder d’un émiettement territorial au sein de son comté (voir la fin de mon post précédent) alors que pour Vanderkindere, il semblerait que cette multiplication de pouvoirs locaux correspondait à un choix comtal qui permettait à Baudouin IV de s’attacher le soutien de subordonnés qui n’avaient de légitimité qu’en raison de leur attachement au comte. Je me pencherai dans un prochain post sur la position dans ce débat de Warlop, auteur de l’irremplaçable somme « The Flemish nobility before 1300 ».

Un renversement de la politique flamande

Vanderkindere est plus prolixe que Platelle sur « l’évolution remarquable de la politique flamande » sous Baudouin IV puis Baudouin V. En effet, ce dernier, fils et successeur du précédent, accentua encore cette nouvelle agressivité à l’égard de l’empire allemand et dans le cas présent de l’empereur Henri III. Baudouin V entra dans la coalition formée contre Henri pour soutenir les revendications de Goddefroy le Barbu sur le duché de Lotharingie. En parallèle de diverses campagnes militaires, Baudouin réussit un coup de maître politique en absorbant sans une goutte de sang le Hainaut grâce à la promesse de mariage (1051) de Richilde, veuve du comte de Hainaut, avec le futur comte Baudouin VI de Flandre. C’était une infraction au code féodal qui rendit furieux Henri III. Mais, en dépit de plusieurs années de bataille pour se venger, l’empereur dut s’incliner et reconnaître ce mariage en décembre 1056.
Pour Vanderkindere, « les règnes de Baudouin IV et Baudouin V ont eu une importance capitale pour le développement de la puissance flamande. L’ancien comté de mouvance française s’appuyait désormais solidement sur l’Allemagne impériale ». Vanderkindere rejoint donc sur ce point Platelle : à la mort de Baudouin V, le comté de Flandre est à son apogée.

mardi 2 août 2011

comté de flandre vers 1300

Les origines du comté de Flandre

A la fin des années 1980 les Editions du Beffroi avaient entrepris de publier une vaste série en six volumes retraçant de la Préhistoire à nos jours l’histoire des provinces du nord de la France. Le projet n’ayant pu aboutir entièrement chez l’éditeur initial, il avait été repris par Artois Presses Universités. C’est ainsi que fin 2008 est sortie la réédition des tomes originellement publiés en 1989. Pour ma part, je m’intéressais avant tout à l’ouvrage, rédigé par Henri Platelle et Denis Clauzel, intitulé « Histoire des provinces françaises du Nord : des principautés à l’Empire de Charles Quint 900-1519 ». Il faisait ainsi partie de mon bagage pour les vacances…
En dépit des tentatives constantes de l’environnement naturel des îles Eoliennes pour me détourner de cette somme érudite (bruit des vagues, senteurs de la végétation, appel de l’apéritif) j’ai conservé toute ma concentration et mené à bien ma lecture… Sans grands mérites d’ailleurs car elle est passionnante et tragique l’histoire de nos provinces ! Refermant le livre, ma première pensée allait à tous nos ancêtres qui avaient eu bien du mérite à survivre aux désastres qui s’étaient régulièrement abattus sur nos plaines. Campagnes militaires, épidémies, catastrophes naturelles… C’est un petit miracle si certains sont passés entre les gouttes pour que nous soyons ici à écrire leur histoire !
Je n’ai pas l’ambition ici de faire une note de synthèse détaillée de l’ouvrage et de son apport à la connaissance de l’histoire régionale, mais plutôt de m’attarder sur certains aspects ou certaines périodes et de résumer à gros traits les conclusions de l’ouvrage pour ceux que le sujet intéresse mais qui n’ont pas cinq jours de calme absolu à consacrer à sa lecture…

L’essor des principautés

Henri Platelle (qui nous a quitté à la mi juillet à 90 ans passés) ouvre l’ouvrage avec un chapitre qui résume sa position. C’est au cours de la période initiale, à partir de l’an 900, qu’on a assisté à « la naissance des petites patries ». Mais cette naissance est le fruit d’une longue gestation. En effet, « même sous la monarchie carolingienne, nos régions ne présentaient aucune unité particulière ». Le système des missatica (ressorts d’inspection) était léger et d’une efficacité limitée. De plus ces terres « avaient connu une influence germanique plus précoce et plus intense qu’ailleurs : elles étaient devenues une zone de contact linguistique ». Enfin, une frontière fixée sur l’Escaut (résultat des traités de Verdun en 843 et Ribémont en 880) coupait en deux ces territoires.
Pendant une grande partie de l’époque carolingienne, « les hauts lignages aristocratiques avaient semble-t-il pu compenser par leurs actions certaines faiblesses de l’ Etat », mais du fait de leur patrimoine immense et dispersé, ils n’étaient pas particulièrement enracinés dans la région. Les choses changèrent à partir de 880 environ lorsque ces familles se replièrent à l’intérieur des royaumes, notamment du fait des invasions normandes qui révélaient définitivement l’impuissance du pouvoir royal et accéléraient une restructuration sociale et politique.
De nouveaux centres d’autorité apparaissent alors mais pas partout en même temps, et en ne suivant pas forcément le même rythme. « Le mouvement aura été beaucoup plus précoce sur la rive gauche de l’Escaut que sur la rive droite : il y a un comté de Flandre quasiment autonome dès la fin du IXe siècle ».
Si l’évolution a été divergente des deux côtés du fleuve, c’est qu’en Flandre le pouvoir royal ne se faisait plus guère sentir après les invasions normandes, tandis qu’il demeurait bien présent en Lotharingie (rive droite de l’Escaut).

Les origines du comté de Flandre

Le comté est né d’un mariage en 863 préparé par un rapt : l’union de Baudouin 1er et Judith, fille du Roi Charles le Chauve. Ce Baudouin est considéré comme le dernier des comtes fonctionnaires mais on ne sait pas grand-chose de son action. C’est sous son fils Baudouin II dit le Chauve que la principauté flamande va se développer. « A l’origine, son autorité s’exerçait essentiellement entre la Mer du Nord et Courtrai, entre Ardenburg (NDLR aujourd’hui aux Pays Bas) et Cassel. Puis elle progressa largement, à l’aide surtout d’usurpations aux dépens de biens ecclésiastiques ».
Sous Arnoul, fils du précédent, on assista à la consolidation et l’extension du domaine comtal. Cependant, il avait à faire désormais face aux appétits des princes voisins, alors que le pouvoir royal était « en pleine décomposition ». Rusé, le comte Arnoul, joua des ambitions croisées de ses rivaux (notamment les Vermandois et ducs de Normandie). Malheureusement, sa succession  n’était pas pleinement  assurée lorsqu’il s’éteignit en mars 965 puisque son fils était encore mineur, ce qui remettait dans le jeu le pouvoir royal qui revendiquait sa tutelle.
Cependant le danger essentiel ne venait pas de Paris, mais de l’intérieur du comté lui-même. En effet, la fragmentation du pouvoir carolingien trouvait son pendant un siècle et demi plus tard avec un émiettement territorial au sein des principautés : alors que le pouvoir avait glissé des mains du Roi dans celles des princes, les subordonnés de ces derniers se taillaient maintenant « des principautés minuscules en s’appropriant terres et droits jusque là détenus au nom du comte ». Baudouin IV, le nouveau comte, su faire la part des choses en acceptant ce nouvel état de fait dans la partie sud de son comté, mais pas au cœur de son pouvoir, dans la partie nord de la Flandre.
Le comté de Flandre reprit alors ses velléités d’extension territoriale, en direction de la Lotharingie. Le comte se préoccupa aussi de sécuriser une alliance prestigieuse pour son fils Baudouin V. Ce dernier épousa en effet Adèle de France, fille du Roi Robert le Pieux. Baudouin V lui-même trouva des époux et épouses avantageux pour ses propres enfants, dont Guillaume de Normandie pour sa fille Mathilde et Richilde de Hainaut qui épousa son fils Baudouin, ce qui promettait à terme un regroupement des deux comtés.
« Quand Baudouin V mourut à Lille le 1er septembre 1067 il était à l’apogée de son prestige comme beau-père du Roi d’Angleterre et tuteur du Roi de France. »
A SUIVRE