Svante Paabo, chasseur de génomes perdus
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
|
|
Par Hervé Morin
Pas
une semaine ne se passe ou presque sans qu’un article scientifique
fasse référence aux travaux de Svante Paabo. En 2010, l’Institut
Max-Planck d’anthropologie évolutive, qu’il dirige à Leipzig
(Allemagne), associé à la société américaine 454 Life Sciences,
dévoilait le génome complet d’un homme de Neandertal. Le monde stupéfait
découvrait que les néandertaliens et Homo sapiens s’étaient
unis il y a plus de 50 000 ans, et que l’humanité portait encore les
traces de ce métissage dans son ADN (entre 2 % et 4 %). Cette découverte
contredisait des travaux antérieurs de Svante Paabo, mais couronnait
un quart de siècle d’efforts patients pour retrouver de l’ADN ancien et
le faire parler. Depuis, la compréhension de notre passé et des
migrations humaines ne cesse de s’affiner grâce à ces outils qui
bouleversent la paléoanthropologie. « Il a vraiment révolutionné notre discipline ! », résume son confrère Jean-Jacques Hublin, qui l’a rejoint à Leipzig en 2004.
Svante Paabo, dans son livre Neandertal. A la recherche des génomes perdus, paru en octobre 2015 (Les liens qui libèrent), raconte cette aventure scientifique et humaine dans un style qui rappelle parfois celui de La Double Hélice (Robert Laffont, 2003), autobiographie de James Watson, malicieux codécouvreur de la structure de l’ADN. Quand il évoque son parcours, ses détours et contradictions, la piètre qualité de certaines études, sa paranoïa face à la contamination des échantillons ou encore la glorieuse incertitude de la compétition scientifique, souvent l’œil bleu du Suédois pétille.
Pourquoi ce livre ? « Je l’ai écrit pour mes enfants », répond-il. Et pas pour les endormir avec le récit soporifique de patientes recherches. L’ouvrage contient aussi des notations beaucoup plus personnelles, qu’on ne rencontre guère dans ce type de littérature. Il ne fait pas mystère de sa bisexualité, évoque une forme de ménage à trois avec une franchise nordique (certains diraient une impudeur) qui a parfois pu choquer ses étudiants anglo-saxons. Il revient sur son passé d’enfant illégitime : son père, Sune Bergstrom (1916-2004), Prix Nobel de médecine (1982), menait une double vie. Mais il lui doit aussi deux fois la vie, la seconde lorsque, hospitalisé pour une embolie pulmonaire, il a été sauvé par de l’héparine, une molécule purifiée par son géniteur en 1943.
Rien ne l’obligeait à se dévoiler autant. « C’est important que les gens comprennent que la science est faite par des gens ordinaires. Sinon, c’est un mythe », lâche-t-il. C’est sans doute aussi par souci de démystification qu’il ne voile rien des aléas des collaborations, de la vie d’équipe, qu’il brosse des portraits parfois piquants de ses collègues et étudiants, qu’il souligne l’intense compétition internationale structurant la recherche, et qu’il ne cache pas non plus les conflits qu’elle peut engendrer. Son récit le montre également en quasi-capitaine d’industrie opportuniste, passant d’un partenariat avec une équipe industrielle à un autre pour profiter des meilleurs outils de séquençage génétique du moment. Ou tentant d’attirer les meilleurs chercheurs dans l’institut que la puissante société Max-Planck a taillé à sa mesure.
Plus profondément, il se dit « surpris que les gens aient accepté si facilement l’idée que nous soyons reliés aux néandertaliens ». Il avait craint que ses travaux ne prennent une tournure politique, ne fassent l’objet de récupérations racistes, mais la figure prétendument bornée du néandertalien, entretenue depuis sa découverte en 1856, a sans doute joué : « Ces métissages n’impliquaient pas de supériorité des Européens. »
Après toutes ces années de collaboration fructueuse, le monde des paléontologues le laisse perplexe. « On dépend bien sûr d’eux pour connaître le contexte du génome. Mais cette discipline a un problème, car les données sont floues. Elle ne parvient pas à livrer des réponses que tout le monde accepte. » Les généticiens lui semblent plus prudents dans leurs affirmations, car ils savent que dans quelques années ils auront une réponse claire, indiscutable. C’est pour cela qu’il s’est finalement gardé de donner un nom latin d’espèce au premier individu de la grotte de Denisova, dans l’Altaï sibérien, entièrement séquencé à partir d’un minuscule fragment d’os d’auriculaire, une fillette « denisovienne » clairement différente de ses contemporains sapiens et néandertaliens. « Mais les généticiens aussi se fourvoient, et c’est une de ses qualités que de savoir le reconnaître », souligne Jean-Jacques Hublin, qui fait, lui, partie de la confrérie des chercheurs d’os.
Quels rêves scientifiques caresse-t-il donc ? Remonter plus encore dans le temps, extraire l’ADN de fossiles toujours plus vieux. Chez ceux d’Atapuerca (430 000 ans), en Espagne, « on commence à récupérer de l’ADN nucléaire ! » Car si les techniques qu’il a mises au point se sont démocratisées « son groupe reste à l’avant garde pour récupérer l’ADN le plus ancien, le plus dégradé, et va continuer à faire parler de lui », témoigne David Reich (Harvard), qui a cosigné avec Paabo nombre d’articles mais poursuit aussi ses propres projets dans ce domaine désormais foisonnant.
Ce qui enthousiasme le plus Svante Paabo, c’est de chercher ce qui fait d’Homo sapiens ce primate si singulier, à la différence du néandertalien, qui, certes, maîtrisait le feu et la parole, mais n’a pas conquis le monde. « J’imagine que quelque chose dans notre combinaison génétique a rendu cela possible », dit-il. Mais quoi ? Ses équipes vont passer par la souris pour tenter de le découvrir, en observant les effets de cellules souches humaines sur son comportement, la croissance de ses neurones et de leurs connexions. « C’est un projet pour les deux années à venir », dit-il. Son institut a embauché des spécialistes à cette fin. La machine à découvrir de Leipzig va continuer de tourner à plein régime, le capitaine, à 60 ans, toujours aux commandes.
Cette détermination, cette capacité à suivre son idée jusqu’au bout, Jean-Jacques Hublin, qui partage avec lui un passé « compliqué », croit en connaître la source. « Les gens qui s’intéressent aux origines ont souvent des problèmes d’origine eux aussi. Ce n’est pas un hasard s’il s’intéresse à l’ADN. C’est la sublimation d’un questionnement plus personnel. »
Svante Paabo, dans son livre Neandertal. A la recherche des génomes perdus, paru en octobre 2015 (Les liens qui libèrent), raconte cette aventure scientifique et humaine dans un style qui rappelle parfois celui de La Double Hélice (Robert Laffont, 2003), autobiographie de James Watson, malicieux codécouvreur de la structure de l’ADN. Quand il évoque son parcours, ses détours et contradictions, la piètre qualité de certaines études, sa paranoïa face à la contamination des échantillons ou encore la glorieuse incertitude de la compétition scientifique, souvent l’œil bleu du Suédois pétille.
Fasciné par le monde antique
Pour Svante Paabo, tout a peut-être commencé lors d’un séjour en Egypte avec sa mère, chimiste estonienne, à l’âge de 13 ans. Fasciné par le monde antique et les momies, il s’oriente pourtant vers la médecine quand il constate que l’égyptologie est trop poussiéreuse pour son tempérament fonceur. Mais les études médicales puis les recherches sur les virus ne seront qu’un détour pour mieux revenir à ses premières amours : étudiant à Uppsala, il profite du four de son laboratoire pour faire lentement racornir un foie de veau, succédané odorant de momie. Il montre qu’il est possible d’en tirer de l’ADN. Le voilà lancé sur les traces de vraies momies dans les musées poussiéreux de Berlin-Est, mais aussi de bestioles de plus en plus anciennes – quagga (un zèbre disparu), rat-kangourou, loup marsupial, chevaux, paresseux, mammouths – dont il parviendra au fil de ses affectations aux Etats-Unis puis en Allemagne à récupérer toujours plus d’ADN. Jusqu’au triomphe du génome néandertalien.Pourquoi ce livre ? « Je l’ai écrit pour mes enfants », répond-il. Et pas pour les endormir avec le récit soporifique de patientes recherches. L’ouvrage contient aussi des notations beaucoup plus personnelles, qu’on ne rencontre guère dans ce type de littérature. Il ne fait pas mystère de sa bisexualité, évoque une forme de ménage à trois avec une franchise nordique (certains diraient une impudeur) qui a parfois pu choquer ses étudiants anglo-saxons. Il revient sur son passé d’enfant illégitime : son père, Sune Bergstrom (1916-2004), Prix Nobel de médecine (1982), menait une double vie. Mais il lui doit aussi deux fois la vie, la seconde lorsque, hospitalisé pour une embolie pulmonaire, il a été sauvé par de l’héparine, une molécule purifiée par son géniteur en 1943.
Rien ne l’obligeait à se dévoiler autant. « C’est important que les gens comprennent que la science est faite par des gens ordinaires. Sinon, c’est un mythe », lâche-t-il. C’est sans doute aussi par souci de démystification qu’il ne voile rien des aléas des collaborations, de la vie d’équipe, qu’il brosse des portraits parfois piquants de ses collègues et étudiants, qu’il souligne l’intense compétition internationale structurant la recherche, et qu’il ne cache pas non plus les conflits qu’elle peut engendrer. Son récit le montre également en quasi-capitaine d’industrie opportuniste, passant d’un partenariat avec une équipe industrielle à un autre pour profiter des meilleurs outils de séquençage génétique du moment. Ou tentant d’attirer les meilleurs chercheurs dans l’institut que la puissante société Max-Planck a taillé à sa mesure.
L’avènement du profilage génétique
Aujourd’hui, avec l’avènement du profilage génétique tel qu’il est proposé par des sociétés comme 23andMe, il devient possible de savoir quelle part de néandertalien se retrouve en chacun de nous. « Je voulais bloquer cette utilisation, la breveter », souligne-t-il. Mais les « libertaires » de son laboratoire s’y sont opposés. « On en plaisante encore, mais je trouve dommage que des travaux financés par le contribuable allemand génèrent du profit en Californie. »Plus profondément, il se dit « surpris que les gens aient accepté si facilement l’idée que nous soyons reliés aux néandertaliens ». Il avait craint que ses travaux ne prennent une tournure politique, ne fassent l’objet de récupérations racistes, mais la figure prétendument bornée du néandertalien, entretenue depuis sa découverte en 1856, a sans doute joué : « Ces métissages n’impliquaient pas de supériorité des Européens. »
Après toutes ces années de collaboration fructueuse, le monde des paléontologues le laisse perplexe. « On dépend bien sûr d’eux pour connaître le contexte du génome. Mais cette discipline a un problème, car les données sont floues. Elle ne parvient pas à livrer des réponses que tout le monde accepte. » Les généticiens lui semblent plus prudents dans leurs affirmations, car ils savent que dans quelques années ils auront une réponse claire, indiscutable. C’est pour cela qu’il s’est finalement gardé de donner un nom latin d’espèce au premier individu de la grotte de Denisova, dans l’Altaï sibérien, entièrement séquencé à partir d’un minuscule fragment d’os d’auriculaire, une fillette « denisovienne » clairement différente de ses contemporains sapiens et néandertaliens. « Mais les généticiens aussi se fourvoient, et c’est une de ses qualités que de savoir le reconnaître », souligne Jean-Jacques Hublin, qui fait, lui, partie de la confrérie des chercheurs d’os.
Remonter plus encore dans le temps
Tenter de recréer l’homme de Neandertal, comme le généticien américain George Church l’a proposé, n’est pas une bonne idée, estime Svante Paabo. « J’y ai répondu dans le New York Times, rappelle-t-il. Techniquement, ce n’est guère envisageable. Et éthiquement, bien sûr, on ne pourrait pas créer un être humain par curiosité. » Refaire un mammouth ne l’enthousiasme pas plus : « Aboutir à un éléphant avec quelques poils… » L’ambre, de son côté, est certes un réservoir d’insectes, mais ne pensez pas y trouver de l’ADN pour faire renaître des dinosaures, comme dans Jurassic Park : « C’est sans espoir. »Quels rêves scientifiques caresse-t-il donc ? Remonter plus encore dans le temps, extraire l’ADN de fossiles toujours plus vieux. Chez ceux d’Atapuerca (430 000 ans), en Espagne, « on commence à récupérer de l’ADN nucléaire ! » Car si les techniques qu’il a mises au point se sont démocratisées « son groupe reste à l’avant garde pour récupérer l’ADN le plus ancien, le plus dégradé, et va continuer à faire parler de lui », témoigne David Reich (Harvard), qui a cosigné avec Paabo nombre d’articles mais poursuit aussi ses propres projets dans ce domaine désormais foisonnant.
Ce qui enthousiasme le plus Svante Paabo, c’est de chercher ce qui fait d’Homo sapiens ce primate si singulier, à la différence du néandertalien, qui, certes, maîtrisait le feu et la parole, mais n’a pas conquis le monde. « J’imagine que quelque chose dans notre combinaison génétique a rendu cela possible », dit-il. Mais quoi ? Ses équipes vont passer par la souris pour tenter de le découvrir, en observant les effets de cellules souches humaines sur son comportement, la croissance de ses neurones et de leurs connexions. « C’est un projet pour les deux années à venir », dit-il. Son institut a embauché des spécialistes à cette fin. La machine à découvrir de Leipzig va continuer de tourner à plein régime, le capitaine, à 60 ans, toujours aux commandes.
Cette détermination, cette capacité à suivre son idée jusqu’au bout, Jean-Jacques Hublin, qui partage avec lui un passé « compliqué », croit en connaître la source. « Les gens qui s’intéressent aux origines ont souvent des problèmes d’origine eux aussi. Ce n’est pas un hasard s’il s’intéresse à l’ADN. C’est la sublimation d’un questionnement plus personnel. »
-
Hervé Morin
Pôle Science et Médecine