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L'histoire en tant que science et champ d'études est en pleine mutation. Grâce aux apports constants de l'archéologie, de la génétique, ainsi qu'à la confrontation avec d'autres sciences humaines (anthropologie, sciences sociales) ou "sciences dures" (démographie, biologie, statistiques) ce que l'on pensait acquis sur l'histoire et la généalogie des peuples est constamment enrichi et remis en question. Ce blog a pour objet d'informer sur certaines découvertes qui modifient (ou pourraient modifier) nos connaissances sur nos ancêtres, des premiers homo sapiens jusqu'à nos grands-pères...
ENGLISH
History as a science and a field of study is undergoing significant changes. Thanks to the contribution of archaeology, genetics, as well as exchanges with other human sciences (anthropology, social sciences) or "hard sciences" (demography, biology, statistics), historical and genealogical facts that were once considered to be established or "written in stone" are now being questioned, revised and enriched. The aim of this blog is to inform and discuss current discoveries that modify (or could modify) what we know about our ancestors, from the first homo sapiens to our grandfathers...
jeudi 28 janvier 2016
Svante Paabo: portrait de l'homme qui nous a lié à Néanderthal par "le Monde"
Pas
une semaine ne se passe ou presque sans qu’un article scientifique
fasse référence aux travaux de Svante Paabo. En 2010, l’Institut
Max-Planck d’anthropologie évolutive, qu’il dirige à Leipzig
(Allemagne), associé à la société américaine 454 Life Sciences,
dévoilait le génome complet d’un homme de Neandertal. Le monde stupéfait
découvrait que les néandertaliens et Homo sapiens s’étaient
unis il y a plus de 50 000 ans, et que l’humanité portait encore les
traces de ce métissage dans son ADN (entre 2 % et 4 %). Cette découverte
contredisait des travaux antérieurs de Svante Paabo, mais couronnait
un quart de siècle d’efforts patients pour retrouver de l’ADN ancien et
le faire parler. Depuis, la compréhension de notre passé et des
migrations humaines ne cesse de s’affiner grâce à ces outils qui
bouleversent la paléoanthropologie. « Il a vraiment révolutionné notre discipline ! », résume son confrère Jean-Jacques Hublin, qui l’a rejoint à Leipzig en 2004.
image:
http://s2.lemde.fr/image/2016/01/25/534x0/4853285_6_582c_svante-paabo-dans-son-bureau-de-l-institut_9a000284c72a8965ba2a6b28df642de8.jpg
Svante Paabo, dans son livre Neandertal. A la recherche des génomes perdus,
paru en octobre 2015 (Les liens qui libèrent), raconte cette aventure
scientifique et humaine dans un style qui rappelle parfois celui de La Double Hélice
(Robert Laffont, 2003), autobiographie de James Watson, malicieux
codécouvreur de la structure de l’ADN. Quand il évoque son parcours,
ses détours et contradictions, la piètre qualité de certaines études, sa
paranoïa face à la contamination des échantillons ou encore la
glorieuse incertitude de la compétition scientifique, souvent l’œil bleu
du Suédois pétille.
Fasciné par le monde antique
Pour Svante Paabo, tout a peut-être commencé lors d’un séjour en
Egypte avec sa mère, chimiste estonienne, à l’âge de 13 ans. Fasciné par
le monde antique et les momies, il s’oriente pourtant vers la médecine
quand il constate que l’égyptologie est trop poussiéreuse pour son
tempérament fonceur. Mais les études médicales puis les recherches sur
les virus ne seront qu’un détour pour mieux revenir à ses premières
amours : étudiant à Uppsala, il profite du four de son laboratoire pour
faire lentement racornir un foie de veau, succédané odorant de momie. Il
montre qu’il est possible d’en tirer de l’ADN. Le voilà lancé sur les
traces de vraies momies dans les musées poussiéreux de Berlin-Est, mais
aussi de bestioles de plus en plus anciennes – quagga (un zèbre
disparu), rat-kangourou, loup marsupial, chevaux, paresseux, mammouths –
dont il parviendra au fil de ses affectations aux Etats-Unis puis en
Allemagne à récupérer toujours plus d’ADN. Jusqu’au triomphe du génome
néandertalien.
Pourquoi ce livre ? « Je l’ai écrit pour mes enfants »,
répond-il. Et pas pour les endormir avec le récit soporifique de
patientes recherches. L’ouvrage contient aussi des notations beaucoup
plus personnelles, qu’on ne rencontre guère dans ce type de littérature.
Il ne fait pas mystère de sa bisexualité, évoque une forme de ménage à
trois avec une franchise nordique (certains diraient une impudeur) qui a
parfois pu choquer ses étudiants anglo-saxons. Il revient sur son passé
d’enfant illégitime : son père, Sune Bergstrom (1916-2004), Prix Nobel
de médecine (1982), menait une double vie. Mais il lui doit aussi deux
fois la vie, la seconde lorsque, hospitalisé pour une embolie
pulmonaire, il a été sauvé par de l’héparine, une molécule purifiée par
son géniteur en 1943.
Rien ne l’obligeait à se dévoiler autant. « C’est important que les gens comprennent que la science est faite par des gens ordinaires. Sinon, c’est un mythe »,
lâche-t-il. C’est sans doute aussi par souci de démystification qu’il
ne voile rien des aléas des collaborations, de la vie d’équipe, qu’il
brosse des portraits parfois piquants de ses collègues et étudiants,
qu’il souligne l’intense compétition internationale structurant la
recherche, et qu’il ne cache pas non plus les conflits qu’elle peut
engendrer. Son récit le montre également en quasi-capitaine d’industrie
opportuniste, passant d’un partenariat avec une équipe industrielle à un
autre pour profiter des meilleurs outils de séquençage génétique du
moment. Ou tentant d’attirer les meilleurs chercheurs dans l’institut
que la puissante société Max-Planck a taillé à sa mesure.
L’avènement du profilage génétique
Aujourd’hui, avec l’avènement du profilage génétique tel qu’il est
proposé par des sociétés comme 23andMe, il devient possible de savoir
quelle part de néandertalien se retrouve en chacun de nous. « Je voulais bloquer cette utilisation, la breveter », souligne-t-il. Mais les « libertaires » de son laboratoire s’y sont opposés. «
On en plaisante encore, mais je trouve dommage que des travaux financés
par le contribuable allemand génèrent du profit en Californie. »
Plus profondément, il se dit « surpris que les gens aient accepté si facilement l’idée que nous soyons reliés aux néandertaliens ».
Il avait craint que ses travaux ne prennent une tournure politique, ne
fassent l’objet de récupérations racistes, mais la figure prétendument
bornée du néandertalien, entretenue depuis sa découverte en 1856, a sans
doute joué : « Ces métissages n’impliquaient pas de supériorité des Européens. »
Après toutes ces années de collaboration fructueuse, le monde des paléontologues le laisse perplexe. «
On dépend bien sûr d’eux pour connaître le contexte du génome. Mais
cette discipline a un problème, car les données sont floues. Elle ne
parvient pas à livrer des réponses que tout le monde accepte. » Les
généticiens lui semblent plus prudents dans leurs affirmations, car ils
savent que dans quelques années ils auront une réponse claire,
indiscutable. C’est pour cela qu’il s’est finalement gardé de donner un
nom latin d’espèce au premier individu de la grotte de Denisova, dans
l’Altaï sibérien, entièrement séquencé à partir d’un minuscule fragment
d’os d’auriculaire, une fillette « denisovienne » clairement différente
de ses contemporains sapiens et néandertaliens. « Mais les généticiens aussi se fourvoient, et c’est une de ses qualités que de savoir le reconnaître », souligne Jean-Jacques Hublin, qui fait, lui, partie de la confrérie des chercheurs d’os.
Remonter plus encore dans le temps
Tenter de recréer l’homme de Neandertal, comme le généticien
américain George Church l’a proposé, n’est pas une bonne idée, estime
Svante Paabo. « J’y ai répondu dans le New York Times, rappelle-t-il. Techniquement, ce n’est guère envisageable. Et éthiquement, bien sûr, on ne pourrait pas créer un être humain par curiosité. » Refaire un mammouth ne l’enthousiasme pas plus : « Aboutir à un éléphant avec quelques poils… »
L’ambre, de son côté, est certes un réservoir d’insectes, mais ne
pensez pas y trouver de l’ADN pour faire renaître des dinosaures, comme
dans Jurassic Park : « C’est sans espoir. »
Quels rêves scientifiques caresse-t-il donc ? Remonter plus encore
dans le temps, extraire l’ADN de fossiles toujours plus vieux. Chez ceux
d’Atapuerca (430 000 ans), en Espagne, « on commence à récupérer de l’ADN nucléaire ! » Car si les techniques qu’il a mises au point se sont démocratisées «
son groupe reste à l’avant garde pour récupérer l’ADN le plus ancien,
le plus dégradé, et va continuer à faire parler de lui », témoigne
David Reich (Harvard), qui a cosigné avec Paabo nombre d’articles mais
poursuit aussi ses propres projets dans ce domaine désormais foisonnant.
Ce qui enthousiasme le plus Svante Paabo, c’est de chercher ce qui fait d’Homo sapiens
ce primate si singulier, à la différence du néandertalien, qui, certes,
maîtrisait le feu et la parole, mais n’a pas conquis le monde. « J’imagine que quelque chose dans notre combinaison génétique a rendu cela possible »,
dit-il. Mais quoi ? Ses équipes vont passer par la souris pour tenter
de le découvrir, en observant les effets de cellules souches humaines
sur son comportement, la croissance de ses neurones et de leurs
connexions. « C’est un projet pour les deux années à venir »,
dit-il. Son institut a embauché des spécialistes à cette fin. La machine
à découvrir de Leipzig va continuer de tourner à plein régime, le
capitaine, à 60 ans, toujours aux commandes.
Cette détermination, cette capacité à suivre son idée jusqu’au bout, Jean-Jacques Hublin, qui partage avec lui un passé « compliqué », croit en connaître la source. «
Les gens qui s’intéressent aux origines ont souvent des problèmes
d’origine eux aussi. Ce n’est pas un hasard s’il s’intéresse à l’ADN.
C’est la sublimation d’un questionnement plus personnel. »
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