FRANCAIS

L'histoire en tant que science et champ d'études est en pleine mutation.
Grâce aux apports constants de l'archéologie, de la génétique, ainsi qu'à la confrontation avec d'autres sciences humaines (anthropologie, sciences sociales) ou "sciences dures" (démographie, biologie, statistiques) ce que l'on pensait acquis sur l'histoire et la généalogie des peuples est constamment enrichi et remis en question.
Ce blog a pour objet d'informer sur certaines découvertes qui modifient (ou pourraient modifier) nos connaissances sur nos ancêtres, des premiers homo sapiens jusqu'à nos grands-pères...


ENGLISH

History as a science and a field of study is undergoing significant changes.
Thanks to the contribution of archaeology, genetics, as well as exchanges with other human sciences (anthropology, social sciences) or "hard sciences" (demography, biology, statistics), historical and genealogical facts that were once considered to be established or "written in stone" are now being questioned, revised and enriched.
The aim of this blog is to inform and discuss current discoveries that modify (or could modify) what we know about our ancestors, from the first homo sapiens to our grandfathers...



jeudi 22 janvier 2015

Déchiffrer les documents anciens..très anciens...

ARTICLE PARU DANS LE JOURNAL "LE MONDE" DU 20 JANVIER 2015

Des papyrus antiques carbonisés déchiffrés à la lumière des rayons X

Lire sans les ouvrir le contenu de livres vieux de plus de 2 000 ans, dont la surface est aussi noire qu’une feuille de journal brûlée dans un four à 330°C... Depuis leur découverte en 1752 lors de fouilles archéologiques, aucune technique n’avait permis de déchiffrer sans tenter de les dérouler, l’intérieur des rouleaux de papyrus carbonisés d’Herculanum, ensevelis sous les décombres de l’éruption du Vésuve en 79. Jusqu'à ce qu'une équipe internationale ne les soumette au rayonnement synchrotron de l'ESRF, à Grenoble. Dans la revue Nature Communications du 20 janvier, elle décrit comment elle a commencé à faire parler ce trésor mutique.
deux mots dévoilés dans une des spires
Deux mots dévoilés dans une des spires des rouleaux d'Herculanum: en haut, PIPTOIE (pi-iota-pi-tau- omicron-iota-epsilon), en bas EIPOI (epsilon-iota-pi-omicron-iota).
Il aura donc fallu plus de deux siècles de tentatives et de recherches, pour espérer enfin décrypter sans les détériorer l’ensemble de ces manuscrits –des traités philosophiques épicuriens essentiellement. Ils constituent la seule bibliothèque de l’Antiquité retrouvée complète à ce jour. Même les sables d’Egypte, autre grand pourvoyeur de papyrologie littéraire grecque, n’ont jamais révélé de collection aussi conséquente.
Au nombre de 1840 fragments dont la reconstitution pourrait représenter 600 à 1200 rouleaux selon les spécialistes, ces volumen ont été exhumés des vestiges de la villa de l’influent politicien Pison - le beau-père de Jules César. Ils datent pour les plus anciens du IIIe siècle avant J.C., jusqu’au premier quart du Ier siècle pour les plus récents. Herculanum était alors une chic station balnéaire de la baie de Naples, aujourd’hui engloutie sous 20 mètres de poussières volcaniques, où les grandes familles romaines prenaient quartier l’été et rivalisaient de chefs-d’œuvre artistiques à l’ombre de leurs palais saisonniers.
Ces papyrii carbonisés ont d’abord été pris par les archéologues pour des morceaux de bois sans valeur, avant qu'ils ne réalisent leur nature véritable – possiblement grâce à l’umbilicus, la tige au centre des rouleaux. Les chercheurs depuis n’ont eu de cesse de tenter d’ouvrir les rouleaux de cette bibliothèque unique, longs de 3 à 15 mètres, et à les transcrire. A ce jour, plus de 400 d’entre eux –les moins abîmés - ont pu l’être, avec des techniques toujours plus ou moins destructives.
Fragment d'un rouleau des papyrus d'Herculanum
Fragment d'un rouleau des papyrus d'Herculanum. L'ensemble mesure 5 cm de haut.
Parmi les procédés mécaniques imaginés, le moins nuisible aura sans doute été la machine à déroulement par pesanteur mise au point par le père Piaggio, conservateur à la bibliothèque du Vatican spécialement dépêché à Naples en 1753, permettant jusqu’au début du XXe siècle l’ouverture millimètre par millimètre de plusieurs centaines de cœurs de rouleaux, encore étudiés aujourd’hui. Toutes les autres tentatives – de la technique d’ « écorçage » consistant à gratter les rouleaux couche par couche jusqu’au simple couteau de boucher pour disjoindre les spires-, ont réduit en écailles sinon complètement détruits ces spécimens uniques, et rompu l’unité de leurs corpus en un puzzle géant.
Tant et si bien que les institutions gardiennes de ce trésor littéraire, la Bibliothèque nationale de Naples principalement, la British Library de Londres et l’Institut de France, étaient devenues particulièrement rétives à prêter leurs précieux exemplaires, échaudées par deux siècles d’expérimentations malheureuses. Avec le développement des techniques d’imagerie, les scientifiques planchent depuis près de 20 ans sur le moyen de scruter virtuellement les manuscrits.

Eviter toute nouvelle perte

L’enjeu consiste non seulement à éviter toute nouvelle perte, mais surtout à accéder au contenu des rouleaux « désespérés » –plus de la moitié de la bibliothèque classique d’Herculanum-, restés scellés et muets jusqu’à présent, en raison de l’agglomération et de la déformation profondes de leurs spires sous la fournaise du volcan. L’utilisation de l’imagerie infra-rouge en particulier a permis à la fin des années 1990 des avancées considérables dans la lisibilité des manuscrits, en révélant le contraste infime entre l’encre fabriquée dans l’Antiquité à partir de noir de fumée et de gomme arabique, et la feuille de papyrus carbonisée, mais uniquement pour les couches déjà ouvertes.
Coupe tomographique dans le volume du papyrus. Les séquences de lettres trouvées se situent dans une couche cachée du fragment.
La solution pour pénétrer les couches invisibles des rouleaux sans même les effleurer pourrait donc avoir été trouvée par une équipe internationale de chercheurs issus du CNR italien, de l’ESRF, et du CNRS, composée de physiciens, de mathématiciens et d’historiens. Elle repose sur la lecture virtuelle de ces papyrus millénaires, en appliquant une technique non invasive d’imagerie par rayons X à contraste de phase, utilisée au synchrotron européen de Grenoble et jusqu’à présent essentiellement dédiée aux recherches physiques et biomédicales. Même le recours à une source conventionnelle comme la microtomographie aux rayons X, employée aujourd’hui en science des matériaux, en paléontologie ou en archéologie, n’y avait pas suffi : la différence d’absorption des ondes par l’encre et le support demeurait beaucoup trop faible pour être lisible.

Des lettres hautes de 2 à 3 mm

« Avec l’imagerie X en contraste de phase, il est possible d’obtenir une information supplémentaire décisive, 100 à 1 000 plus sensible que le phénomène d’absorption, -la différence d’indice de réfraction-, de l’ordre de quelques centaines de microns, entre les différents matériaux. C’est grâce à elle et à la surépaisseur de l’encre sur le papyrus que l’on a pu faire apparaître des lettres de l’alphabet grec hautes de 2 à 3 mm dans le cœur de la matière », explique Emmanuel Brun, co-auteur de l’article paru dans Nature Communications, mathématicien et chercheur à l’ESRF.
Pour l’instant, seuls deux rouleaux mis à disposition de l’équipe par l’Institut de France, dépositaire de six volumes offerts à Napoléon Bonaparte par le roi de Naples en 1802, ont été imagés par cette technique sous une ligne de lumière du synchrotron grenoblois, en 5 heures à peine chacun... A titre de comparaison, une année était nécessaire à la machine du père Piaggio pour dérouler trois mètres de volumen.

Pas de grands textes

De quoi donner un coup d’accélérateur précieux à l’exploration des papyrus d’Herculanum… et espérer trouver des œuvres antiques aussi recherchées que les poèmes perdus de Sappho, les pièces disparues de Sophocle ou encore les textes évanouis des dialogues d’Aristote ? « La bibliothèque retrouvée sur le site à ce jour, majoritairement rédigée en grec ancien, et pour une centaine de rouleaux en latin, ne détient pas a priori de grands textes littéraires, poétiques ou historiques de l’Antiquité », précise Daniel Delattre, également co-auteur de l’article et papyrologue au CNRS, dont c’est le sujet de recherche depuis 30 ans.
A travers ces textes inconnus pourtant, dont une partie des livres de De la Nature du philosophe Epicure -la principale découverte pour l’heure-, et les nombreux écrits d’un certain Philodème de Gadara, l’un de ses disciple, se révèle « une passionnante mise en abyme », affirme l’historien. « On y découvre des textes stoïciens complètement perdus, et la compilation inédite de textes de grands auteurs des IVe et IIIe avant notre ère tels qu’Aristote, Théophraste, ou Héraclide du Pont », précise Daniel Delattre.

Un défi: reconstruire virtuellement le texte

Le site d’Herculanum n’a pas livré tous ses secrets. Un troisième étage de la villa, situé au niveau de la mer et composant une partie des appartements du richissime maître des lieux, dont l’existence a été mise au jour dans les années 2000, attend le feu vert des autorités italiennes pour être exploré.
D’ici là, l’équipe internationale, forte du premier succès, doit procéder à d’ultimes réglages sur les lignes du synchrotron grenoblois pour optimiser la sensibilité de sa nouvelle technique. Avant d’élucider cette passionnante énigme historique, un ultime défi –et peut-être le principal– doit aussi être relevé par les scientifiques : celui de l’analyse des données pour reconstruire virtuellement au moyen d’algorithmes la succession des lettres détectées par le faisceau au cœur des papyrus, ou comment le big data rattrape aujourd’hui la papyrologie... « Il y a plusieurs années de travail devant nous. On est au tout début de l’aventure », insiste Daniel Delattre, qui précise aussi que toutes les données seront en libre accès.

Aurélie Sobocinski

vendredi 16 janvier 2015

L'ascendance d'une européenne (bis)

Pour "fêter" la naissance de ma deuxième fille Lilea le 11 décembre dernier, et pour fêter également mes 20 ans de recherches généalogiques, je publie en ligne l'ascendance de mes deux filles Nisa et Lilea, avec en bonus les photos des ancêtres les plus récents (les tableaux ou représentations des plus anciens suivront petit à petit).
Mes recherches m'ont mené principalement en Flandre et en Sicile, mais se sont ensuite étalées de la Russie au monde berbère, de l'an 600 environ jusqu'au XXIe siècle...
Les "portes d'entrée" généalogiques vers les ascendances les plus intéressantes (Antonio Rosso, Caterina Pignatelli, Jeanne de Bersacques, Anne Legay) ont également été mises en valeur.
Je suis preneur de tout complément mais aussi de toute correction sur cette ascendance!
Plus d'infos à http://gw.geneanet.org/abarbry_w

jeudi 15 janvier 2015

on sait 700 ans après de quoi est mort le protecteur de Dante

ARTICLE PARU DANS LE JOURNAL "LE MONDE" DU 15 JANVIER 2015

Il est connu comme le protecteur de Dante, qui lui dédia son Paradis, mais Cangrande della Scala (1291-1329) restera avant tout dans l'histoire tel qu'il est représenté sur la photographie ci-dessus, comme un condottiere, un seigneur de la guerre. Dans l'interminable conflit entre guelfes (partisans de la papauté) et gibelins (partisans du Saint-Empire romain germanique) qui déchire l'Italie médiévale entre le XIIe et le XIVe siècle, l'homme va porter la ville de Vérone au sommet de sa puissance. Chef des gibelins dans l'Italie du nord, Cangrande della Scala conquiert plusieurs des cités voisines, comme Vicence, Padoue et, enfin, Trévise, en 1329. Après deux semaines de combats et de siège, il entre en vainqueur dans la ville annexée, le 18 juillet de cette année-là. Et, pris de vomissements, de maux de ventre et de diarrhée, il meurt à Trévise quatre jours plus tard !
A l'époque, on considéré son décès comme étant d'origine naturelle et on incrimine l'eau souillée d'une source à laquelle Cangrande della Scala a bu. Cependant, quelques années plus tard, certains chroniqueurs jettent le doute sur cette version des faits et émettent l'hypothèse d'un assassinat par empoisonnement. Une mort mystérieuse en pleine force de l'âge, une période trouble, des soupçons... Dans une série télévisée, les experts des cold cases choisiraient de rouvrir le dossier. Toute la difficulté, c'est que près de sept siècles se sont écoulés depuis la disparition du condottiere : l'affaire est plus que froide. Cet obstacle n'a pas arrêté une équipe italienne qui publie les résultats de son enquête dans le numéro daté de février du Journal of Archaeological Science.
Venus de différents domaines – la recherche sur les maladies anciennes, la biochimie, l'étude des pollens, la médecine légale, l'anthropologie, l'histoire –, ces chercheurs sont allés directement à la source du mystère, c'est-à-dire au corps de Cangrande della Scala. Ils ont donc ouvert le sarcophage de marbre du chef de guerre, situé dans l'église Santa Maria Antica de Vérone, pour y découvrir un cadavre plutôt en bon état (voir ci-dessous), naturellement momifié. Tout comme cela s'est fait pour les dépouilles de certains pharaons égyptiens, le corps a été autopsié et radiographié et les auteurs de l'étude ont également analysé des cheveux, des cellules du foie ainsi que des restes d'excréments prélevés dans le colon et le rectum.
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L'examen des boyaux du grand homme a ainsi révélé du pollen de camomille – sans doute le signe que Cangrande della Scala a voulu soulager ses maux de ventre par une infusion – mais aussi, et peut-être même surtout, du pollen de... digitale, une fleur dont la haute toxicité est connue depuis l'Antiquité. L'analyse toxicologique a confirmé ce point : les chercheurs ont retrouvé dans les fèces et les cellules du foie des quantités significatives de deux composés ayant la signature de la digoxine et de la digitoxine, deux toxines des digitales. Selon l'étude, on est au-delà du seuil de toxicité uniquement avec les concentrations retrouvées au XXIe siècle, ce qui ne tient pas compte de toutes les molécules qui se sont dégradées au cours des sept siècles écoulés depuis la mort du seigneur véronais. Il est assez exceptionnel de découvrir, tant de temps après, les traces directes d'un empoisonnement.
Une dose massive de digitale provoque rapidement un arrêt du cœur. Une dose moyenne n'a pas les mêmes conséquences. Ainsi que l'écrit en 1904 le botaniste français Henri Coupin dans son traité intitulé Les plantes qui tuent, "l’anxiété et la douleur épigastrique sont poignantes, les nausées et les vomissements incoercibles, les vertiges s’accentuent, la peau se refroidit, il y a de l’affaissement, des hoquets", ce qui correspond bien aux symptômes décrits lors de la maladie fatale de Cangrande della Scala. La mort survient au bout de quelques jours. Les chercheurs italiens précisent que leurs analyses révèlent la présence de deux autres composants issus de plantes médicinales, l'armoise et la passiflore, ce qui tendrait à confirmer une tentative, bien inefficace, de soins.
L'équipe ne veut pas écarter la possibilité d'un empoisonnement accidentel mais elle le juge hautement improbable étant donné que la plante est depuis longtemps identifiée comme mortelle (même si, à petite dose, elle est efficace pour traiter certaines maladies du cœur). De plus, les empoisonnements sont une pratique assez courante au Moyen Age. Reste la partie "policière" de l'énigme, savoir qui a pu assassiner Cangrande della Scala. Certaines chroniques de l'époque rapportent que son médecin termina sa carrière suspendu à une potence... Quant aux commanditaires possibles, la liste est longue dans cette période de conflits, estiment les auteurs : "Les principaux suspects sont les Etats voisins, la République de Venise ou le duché de Milan, inquiets du nouveau pouvoir régional de Cangrande et de Vérone ; l'ambitieux neveu de Cangrande qui, à la mort de celui-ci, lui succéda à la tête de Vérone en association avec son frère Alberto, ne peut pas être totalement exclu comme instigateur" du meurtre. Ce qui aurait une saveur bien particulière quand on sait que, sur son lit de mort, Cangrande demanda que ses neveux prennent sa place et héritent de ses biens.

Pierre Barthélémy

mardi 6 janvier 2015

Tout effacer et recommencer?


J'ai récemment eu un échange avec un correspondant qui descend tout comme moi du couple Dominique AUGUSTIN et Catherine PRUNET de Thionville. J'ai déjà posté sur ce blog le 29/02/2012 l'intéressant parcours de vie de Dominique qui quitte une situation confortable de notaire royal dans sa ville natale pour refaire sa vie en Indre et Loire où il se remarie en 1759 et reprend là aussi une charge de notaire royal. Je m'interrogeais à l'époque sur les raisons qui avaient bien pu pousser Dominique AUGUSTIN à partir au loin, une fois -je le supposais- sa première épouse décédée.
Ce correspondant, plus attentif que moi, m'a signalé deux points extrêmement intéressants  pour éclairer peut-être les motivations de cet ancêtre. A son remariage à Chouzé sur Loire le 05/11/1759, Dominique AUGUSTIN déclare être âgé de 40 ans (la mariée en a 28) alors qu'il a atteint en fait l'âge vénérable de 52 ans (son acte de naissance date du 05/12/1707 à Thionville). Plus éclairant encore, l'acte cite les parents de Dominique (tous deux décédés) mais ne précise pas qu'il est veuf de Catherine PRUNET: omission du rédacteur de l'acte ou du marié?

Il est tentant de penser que de manière romanesque Dominique AUGUSTIN a cherché à refaire sa vie en Indre et Loire en coupant les ponts et en cachant les références à sa vie d'avant (âge, union éventuelle etc). "L'oubli" de la mention d'une épouse (décédée ou non) indiquerait-il que Dominique puisse être bigame?
La réalité est certainement plus prosaïque... A priori, Catherine PRUNET est décédée au moment du remariage de Dominique. Je n'ai pas -encore- trouvé l'acte qui le confirmerait mais elle est déclarée décédée sur l'acte d'enrôlement de son fls François AUGUSTIN dit THIONVILLE au régiment de la Couronne en 1755.
Par ailleurs, s'il omet son épouse (ou sa veuve) dans l'acte, Dominique a bien donné sa ville d'origine et le nom de ses parents.
Quant à l'âge au mariage, ne serait-ce pas la coquetterie d'un homme inquiet d'une différence d'âge trop grande avec sa nouvelle épouse?

Les recherches en tout cas continuent...

dimanche 4 janvier 2015

Une si blanche préhistoire

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 31.12.2014
Le 17 décembre 2014, la copie de la fresque dite « des lions », premier élément de la réplique de la caverne du Pont-d’Arc, en Ardèche – nommée grotte Chauvet –, a été présentée à la presse. Elle sera inaugurée le 25 avril avec ses lions, rhinocéros, bisons, bœufs musqués, mammouths et autres chevaux.

Reconstitution d'un Australopithecus afarensis femelle, connue sous le nom de Lucy. Elle vivait il y a 3,4 millions d'annees. D'après le moulage du crane AL 417 decouvert a Hadar en Ethiopie.
Quelques jours plus tôt, la revue scientifique Nature publiait un article signé de plusieurs préhistoriens qui faisait état de la présence de traits gravés intentionnels à la surface d’un coquillage découvert sur le site de Trinil, à Java, à la fin du XIXsiècle. Les incisions en zigzag dateraient d’il y a 500 000 ans. Quoi de commun entre les deux annonces ? Elles sont accompagnées de reconstitutions de ceux qui auraient réalisé ces œuvres.
La publication du coquillage s’accompagne d’une image signée Minke van Voorthuizen, designer et artiste néerlandaise. On y voit un homme à la peau sombre et au système pileux abondant, Aborigène d’Australie ou Papou de Nouvelle-Guinée, qui tient entre ses doigts une moule ornée d’une ligne blanche brisée. Or il est plus que discutable de donner à croire qu’un Aborigène ou un Papou actuel ressemble à un pithécanthrope de Java d’il y a un demi-million d’années ou, du moins, serait ce qui s’en rapprocherait le plus. Ce dernier avait-il la peau noire ? Les yeux noirs ? Une longue barbe et de longs cheveux ? C’est possible, mais ce n’est pas établi.

Certitudes infondées et lieux communs

A l’inverse, il est établi par la paléontologie que la structure de sa face, ses bourrelets suborbitaux, la partie inférieure de son visage sans menton étaient profondément différents de ceux des hommes actuels, qu’ils vivent en Australie, en Nouvelle-Guinée ou n’importe où ailleurs. Sans doute l’auteure de cette image malencontreuse n’a-t-elle pas perçu ce que celle-ci sous-entend de certitudes infondées et de lieux communs.
Les œuvres du Pont-d’Arc ont elles aussi suscité des reconstitutions visibles. Sur un site Internet consacré au Vallon-Pont-d’Arc et à son exploitation touristique, dont la réplique de la grotte doit être le moteur principal, on voit un homme supposé être l’auteur des figures animalières. Pourquoi un homme ? Il serait donc entendu que les femmes du paléolithique n’étaient bonnes qu’à cuisiner, coudre ou porter des enfants, et incapables de dessiner ? L’artiste a également de longs cheveux – faute de savoir les couper ? – mais une barbe courte : étrange incohérence. Sa peau est claire. Il a un côté hippie des années 1960. Qu’en sait la science avec précision ? Rien. Les peintres du Pont-d’Arc avaient peut-être le crâne rasé – le tranchant des racloirs de silex aurignacien est très efficace. Ils avaient, qui sait ?, les oreilles percées, des peintures corporelles. Ou pas. Ils avaient, pourquoi pas ?, les seins nus dans un décolleté de fourrure de renard ou d’ours, car ces « ils » étaient peut-être des « elles ».
De quels stéréotypes d’aujourd’hui ces temps reculés sont-ils la projection ?
La collision fortuite de ces images dans l’actualité soulève nombre de questions. A quoi servent-elles et sur quoi se fondent-elles ? Que peut-on affirmer sur l’apparence extérieure des hominidés d’il y a deux millions d’années comme sur celle des hommes du paléolithique supérieur, séparés de l’époque actuelle par seulement une à trois dizaines de milliers d’années ? Ces dioramas en apprennent-ils plus sur les temps préhistoriques ou sur le nôtre ? Autrement dit : de quels stéréotypes d’aujourd’hui ces temps reculés sont-ils la projection ?
Le désir de donner un visage à nos ancêtres est aussi vieux que la préhistoire elle-même. Dès la seconde moitié du XIXsiècle, les essais se sont succédé grâce à la collaboration de praticiens de la sculpture collaborant avec les archéologues et les paléontologues qui étudiaient les crânes et les fragments de squelettes. Ce que ces derniers déduisaient des morceaux de calottes ou des formes des mandibules, les premiers cherchaient à le développer par le modelage et la ­polychromie, jusqu’à obtenir des bustes ou des mannequins grandeur nature. Cette collabo­ration a permis, dès les années 1870, les premières reconstitutions du pithécanthrope de Java, de l’homme de Neandertal et de celui de Cro-Magnon. Elle s’est poursuivie depuis, en s’améliorant au rythme des fouilles et des méthodes de plus en plus perfectionnées d’observation et de déduction, jusqu’à l’époque actuelle où les analyses d’ADN vont de pair avec l’usage des ­logiciels et de la 3D pour essayer de donner un ­visage vraisemblable à l’australopithèque Lucy ou aux magdaléniens des rives de la Vézère.

Peintre aurignacien dans la caverne du Pont-d’Arc (Ardèche), selon un site touristique local.
Aux bustes de plâtre peint d’Aimé Rutot et de Louis Mascré, réalisés entre 1909 et 1914, ont succédé aujourd’hui les mannequins de silicone d’Elisabeth Daynès, avec leurs systèmes pileux factices et leurs manteaux de fausse fourrure. Musées, publications scientifiques et ouvrages de vulgarisation font grand usage de ces dioramas. Ils satisfont la curiosité et rendent plus ­accessible une réalité qu’il est difficile d’imaginer à partir de quelques débris osseux et de quelques pierres.
Ces productions contemporaines sont censées tendre à la plus grande exactitude. Or, non seulement des différences sensibles séparent les ­représentations du même individu, mais bien des détails de leur apparence ne peuvent être justifiés par la science. Les différentes versions de Lucy – un fossile découvert en 1974 en Ethiopie, estimé à 3,2 millions d’années d’ancienneté – ­révèlent ainsi des disparités surprenantes.
Cet Australopithecus afarensis, aujour­d’hui considéré comme une espèce cousine du genre Homo, était-il un petit être gracile au corps recouvert de poils sombres et à la face simiesque ? Ou était-il plus humain, moins velu, plus féminin et doué d’un regard curieux ? Ou son anatomie était-elle plus nettement sexuée, avec des fesses et des seins proéminents ? Il suffit de peu pour que la ­figure bascule d’une représentation à l’autre. Or ce peu est indécidable.


Les données scientifiques sur Lucy, dont plusieurs chercheurs affirment qu’il s’agit d’un sujet masculin, ne permettent pas de fixer avec certitude des détails qui affectent fortement la perception que l’on peut avoir aujourd’hui de ce stade de l’évolution humaine. Ce qui vaut pour Lucy vaut pour le crâne de Toumaï, découvert au Tchad en 2001, dont on connaît des portraits glabres et d’autres velus. Et vaut pour des stades bien plus récents, jusqu’au paléolithique supérieur. Les questionnements sont nombreux. L’homme de Neandertal avait-il les yeux bleus ? Les Aurignaciens qui ont dessiné les lions du Pont-d’Arc étaient-ils noirs ou blancs de peau ? Même question pour les hôtes de la grotte de Lascaux (Dordogne).
Difficile de répondre à ces interrogations faute d’éléments matériels : les tissus cutanés et les systèmes pileux de ces êtres, et donc, pour les plus proches, leurs coupes de cheveux, leurs éventuelles peintures corporelles, scarifications et tatouages, leurs tenues vestimentaires n’étant évidemment pas été conservés. Parmi les rares chercheurs qui se sont attachés à définir leur pigmentation, l’anthropologue Nina Jablonski (Pennsylvania State University) propose une chronologie fondée sur des corrélations entre évolutions des caractères physiques, circonstances climatiques et modes de vie. Selon elle, les hominiens d’il y a trois millions d’années ont une peau claire couverte de poils, comparable à celle des jeunes chimpanzés. Quand, aux alentours de – 2,5 millions d’années, le climat devient plus sec en Afrique, la savane se substitue à la forêt humide et les hominidés doivent se déplacer dans des espaces découverts – donc plus chauds et plus dangereux.

L’évolution de la pigmentation de l’espèce humaine

Les poils, qui gênent la transpiration, tendent alors à disparaître jusqu’à ce qu’apparaissent, vers – 1,6 million d’années, des corps à la peau nue – hors chevelure et poils pubiens – et doués désormais de glandes eccrines, qui favorisent une transpiration abondante. Le soleil agressant ces peaux trop claires, elles s’assombrissent. La protection contre le rayonnement et la sudation en sont améliorées. Cependant, quand des groupes issus de ces populations se déplacent vers l’hémisphère Nord, l’ensoleillement étant moins intense, la peau foncée cesse d’être nécessaire et s’éclaircit progressivement   ce faisant, elle génère plus de vitamines D qu’une peau plus foncée, s’adaptant à des climats très froids qui n’ont plus rien d’équatorial ni de tropical.
L’évolution de la pigmentation de l’espèce humaine aurait donc pris des milliers d’années pour en arriver à la répartition contemporaine. Nina Jablonski trouve d’ailleurs dans celle-ci une preuve de sa théorie : la carte actuelle du rayonnement solaire se juxtapose presque exactement avec celle de la répartition des différentes nuances de coloration. Elle a exposé ses thèses dans deux ouvrages, Skin : a Natural History (Berkeley, 2006) et Living Color : The Biological and Social Meaning of Skin Color (Berkeley, 2012). Son système d’analyses a été complété par les recherches en paléogénétique conduites par Sandra Beleza à l’université de Porto (Portugal). L’éclaircissement de la pigmentation serait intervenu lentement en Europe, entre – 19 000 et – 11 000. Elle ajoute que le teint très probablement pâle des Néandertaliens n’a pas contribué à cette évolution de la branche européenne d’Homo sapiens. Si tel est le cas, les auteurs des peintures aurignaciennes du Pont-d’Arc, que l’on situe entre – 33 000 et – 28 000, n’étaient très probablement pas de peau claire et blonds, alors que ceux des frises de Lascaux, qui datent d’autour de – 18 000, peuvent l’avoir été.

Plâtre peint d’« Homo heidelbergensis », l’homme de Mauer, réalisé par Louis Mascré et Aimé Rutot entre 1909 et 1914. 
Plâtre peint d’« Homo heidelbergensis », l’homme de Mauer, réalisé par Louis Mascré et Aimé Rutot entre 1909 et 1914. | Bruxelles, Institut royal des sciences naturelles de Belgique 

Pourtant, les représentations picturales qui circulent habituellement sur ces époques ne tiennent à peu près aucun compte de ces recherches, que ce soit celles sur les hominidés ou celles sur les Homo sapiens. Ces derniers et, plus globalement, l’ensemble des populations ayant vécu sur le territoire de ce qui s’appelle aujourd’hui l’Europe, sont représentés sous les traits d’hommes blancs, souvent blonds, et cela dès les premières images de la fin du XIXe siècle. Gravures illustrant des ouvrages plus ou moins savants, peintures exposées dans les Salons, statues pour jardins publics : la préhistoire est en effet, dès ses débuts, un excellent sujet pour artistes, particulièrement en France.
L’idée d’une continuité physique s’impose sans discussion, comme une évidence, comme s’imposent d’autres certitudes anachroniques et indémontrables
Ils se nomment Fernand Cormon, auteur en 1898 des décors du Musée d’histoire naturelle, ou Emmanuel Frémiet, dont les bronzes de chasseurs d’ours se voient encore au Jardin des plantes à Paris, ainsi qu’un autre bronze de 1890, Le Premier Artiste, de Paul ­Richer. Des peintres se spécialisent dans l’« âge du renne » : Emmanuel Benner, Léon-Maxime Faivre et Paul Jamin racontent des chasses qui tournent mal. Au même moment, en Suisse, Albert Anker ou Otto Emmanuel Bay trouvent dans les découvertes des cités lacustres les thèmes de variations tragiques ou élégiaques.
Tous s’accordent sur un point : en ces époques, l’Europe est peuplée de guerriers à la peau blanche. Leurs compagnes sont souvent rousses, ont le teint laiteux, ce qui se voit d’autant mieux que, en ­dépit des glaciations, tous vivent presque nus dans leurs abris. Les conventions artistiques du temps pèsent lourd : ces paléolithiques ressemblent de près aux Grecs et aux Romains que d’autres peintres ou les mêmes font paraître sur leurs toiles, pas plus habillés, tout aussi blancs, tout aussi athlétiques. Ils ne se distinguent qu’à leurs armes, de pierre taillée pour les premiers, de métal pour les seconds – qui sont leurs descendants comme les hommes modernes sont ceux des peuples de l’Antiquité. L’idée d’une continuité physique – à l’époque raciale – s’impose sans discussion, comme une évidence, comme s’imposent d’autres certitudes anachroniques et indémontrables : les hommes des cavernes auraient vécu en familles monogames, les fonctions domestiques étaient réparties dans ces ménages comme dans la société de la fin du XIXe siècle, et on s’y réunissait pour des fêtes et les enterrements.

L’art, une affaire exclusivement masculine

Quant à l’art, il était une affaire exclusivement masculine. En 1870, l’illustrateur Emile Bayard dessine les planches de L’Homme primitif, de Louis Figuier – ouvrage qui fit date –, dont celle qui témoigne de la naissance de l’art, intitulée Les Précurseurs de Raphaël et de Michel-Ange, ou la naissance des arts du dessin et de la sculpture à l’époque du renne. Trois artistes légèrement barbus modèlent ou dessinent sur une pierre plate : scène d’atelier classique. Pour la réédition de 1873, Bayard modifie sa reconstitution pour tenir compte des hypothèses des savants : il enveloppe ses héros de fourrures qui leur donnent un air de Lapons. Mais ce sont toujours trois hommes blancs, comme sont blancs et virils ceux du Premier Artiste, de Richer, et d’Un Peintre décorateur à l’âge de pierre, de Jamin, entouré d’une cour ébahie de jeunes femmes nues – et blanches évidemment.
L’image du héros des premiers âges de l’humanité se trouve ainsi fixée pour longtemps. Rahan, « le fils des âges farouches » né sous le pinceau d’André Chéret, héros de bande dessinée dont l’apparition date de 1969 dans le premier numéro de Pif Gadget, ne serait pas déplacé dans les planches de Bayard, antérieures d’un siècle – remarquable continuité d’un stéréotype. Couvertures en couleur des éditions successives de La Guerre du feu de Rosny aîné ou de la saga de Jean Auel, vignettes des livres de classe, pages des revues de vulgarisation, dioramas des musées : rien n’a changé tout au long du XXsiècle et jusqu’à aujourd’hui. A son tour, le cinéma a orchestré les mêmes airs, popularisé les mêmes clichés. Le film Prehistoric Women, de Gregg Tallas, en 1950, en est une preuve involontairement burlesque, mais la meilleure est donnée, en 1966, par One Million Years B.C., de Don Chaffey, avec Raquel Welch dans son bikini en peau de bête, encore plus sexy que Carol Landis dans la première version du film, réalisée par Hal Roach en 1940. Ce qui n’empêcha pas cette version, lors de sa sortie, de rivaliser au box-office avec Autant en emporte le vent.

« Une idéologie condescendante »

L’incongruité de ces représentations et leurs sous-entendus ont été parfois dénoncés. Dans La Stampa du 14 mars 1982, Primo Levi ne ménageait pas l’adaptation cinématographique de La Guerre du feu, de Jean-Jacques Annaud, sortie en 1981. L’auteur de Si c’est un homme écrivait : « Quant aux personnages, ils apparaissent étonnamment stupéfaits et sales. (…) Les vêtements que nous montre le film ne servent à rien, ils permettent seulement d’insuffler au spectateur la notion redondante selon laquelle ces sauvages étaient très sauvages. » Il concluait que le film décevrait « les passionnés des deux versants, les anthropologues et les amateurs de porno ». Le 30 janvier 2005, cinq préhistoriens français n’étaient pas plus tendres pour le docu-fiction de Jacques Malaterre, Homo sapiens, qui affichait la caution scientifique d’Yves Coppens. Dans une tribune parue dans Libération et intitulée « “Homo sapiens” pouvait être plus savant », les scientifiques Hélène Roche, Jean-Michel Geneste, Serge Maury, Jacques Pelegrin et Boris Valentin en accusaient la « théâtralisation », les « accoutrements provoquant répulsion ou commisération ». « Bref, ce n’est pas seulement l’imagination qui a pris le relais sur ce thème central de l’apparence, c’est une idéologie condescendante », concluaient-ils.
« Condescendante » est ici une façon polie de suggérer que le fantasme de la supériorité raciale affecte aussi les images de la préhistoire. Ces critiques n’ont eu jusqu’ici que fort peu d’effets. Aujourd’hui encore, comme il y a un siècle, le héros de l’âge de pierre – chasseur de Cro-Magnon ou peintre de Chauvet – est toujours un bel athlète blanc, et Lucy une petite créature à peine humaine et noire de peau.

À LIRE
« Living Color : The Biological and Social Meaning of Skin Color », de Nina Jablonski (Berkeley,University of California Press, 2012).
« Le Sauvage et le Préhistorique, miroir de l’homme occidental », de Marylène Patou-Mathis,(Odile Jacob, 2011).
« Skin : a Natural History », de Nina Jablonski (Berkeley, University of California Press, 2006).
« Un Néandertalien dans le métro », de Claudine Cohen (Seuil, 2007).
« La Femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale », de Claudine Cohen (Herscher, 2003).
« Vénus et Caïn. Figures de la préhistoire 1830-1930 », catalogue d’exposition (RMN - Grand Palais, 2003).

  • Philippe Dagen
    Journaliste au Monde