La critique dans "Le Monde" du livre que je suis en train de terminer. J'espère avoir le temps de poster ma propre critique sous peu....
Indo-Européens : par ici la sortie !
LE MONDE DES LIVRES | • Mis à jour le | Par Roger-Pol Droit
Franchement, au premier regard, rien pour séduire. 750 pages, sujet austère : est-ce que les Indo-Européens ont vraiment existé ? La question n’empêche pas grand monde de dormir. Le lecteur, s’il est tenace, va donc s’instruire, certainement. Mais s’enthousiasmer, se passionner… voilà qui paraît plus qu’improbable. Eh bien, détrompez-vous ! Ce pavé signé Jean-Paul Demoule, d’une érudition époustouflante, n’est pas seulement accessible, captivant, parfois drôle – il est explosif. Les dégâts de cette bombe à fragmentation vont être rapidement visibles dans quantité de registres – politique et idéologique, linguistique et historique, épistémologique et philosophique. cet ouvrage montre en effet comment la construction du mythe de l’origine « aryenne » de l’Occident est destinée à éliminer son origine juive. Voilà qui exige quelques explications.
Rappelons d’abord qui sont ces « Indo-Européens », qu’on trouve depuis deux siècles à tous les étages, du rayon « langues » au rayon « articles nazis ». Leur existence n’est qu’une pure hypothèse. Mais elle est déjà si ancienne, et devenue si féconde, en apparence, qu’une quasi-certitude paraît l’entourer. Tout a commencé au début du XIXe siècle, avec notamment la découverte du sanskrit. Les savants européens, constatant les similitudes frappantes existant dans le vocabulaire et la syntaxe du grec, du sanskrit, mais aussi de langues européennes et orientales très diverses (du suédois à l’ossète) ont imaginé, pour expliquer cette parenté troublante, l’existence d’un peuple originaire.
Ce peuple ancêtre, aïeul de ceux de l’Inde comme de l’Europe, aurait habité un premier foyer géographique – non déterminé – avant d’envahir tous azimuts, à l’aube des temps historiques, le continent européen aussi bien que le sous-continent indien. Mythes, structure sociale, représentations du monde de ces Indo-Européens auraient laissé d’innombrables traces, repérables par les sciences, dans des cultures rendues dissemblables par leur évolution ultérieure. Cette identité originaire – toujours à reconstituer à partir d’un puzzle d’indices – est devenue un pilier durable des sciences humaines. Furent édifiés, sur cette hypothèse, quantité de travaux de grammaire comparée (de Bopp à Benveniste), de mythologie comparée (Dumézil), d’étude de la protohistoire. Des politiques raciales s’en sont aussi emparées, de Gobineau à Rosenberg. Des mouvements conservateurs ou fascisants l’ont exploitée en tous sens. Mais le noyau historique passait pour fiable.
Les conséquences de ces démonstrations se révèlent vertigineuses. S’il s’agissait simplement d’établir que des échafaudages intellectuels anciens sont devenus sujets à caution, la démarche intéresserait quelques experts, non un large public cultivé. Or le livre de Jean-Paul Demoule, par sa sagacité, son ampleur et sa pertinence, s’adresse à tout lecteur concernépar le statut des sciences humaines, mais surtout, plus généralement, par les visages de l’identité occidentale, les mythes du nazisme, l’invention des Aryens, la virulence actuelle des extrêmes droites, bref, la politique au présent.
Deux leçons de ce grand livre sont à méditer. La première touche à la place de la fiction dans les savoirs : au cœur des travaux les plus savants, en linguistique comme en archéologie ou en histoire, deux siècles durant, s’est développée et perfectionnée une pure et simple légende. La seconde leçon concerne le sens et la fonction de ce mythe : construire une origine de substitution, remplacer la réalité historique de l’héritage juif du christianisme et de l’Europe par la fiction d’un peuple « aryen » originaire, porteur d’une autre religion, d’une autre langue, d’autres valeurs. Il serait absurde de soutenir que tous ceux qui ont cru àil l’existence des Indo-Européens avaient ce projet en tête, de manière claire et explicite. Mais que ce mythe d’origine soit fondamentalement antijuif, que son sens profond soit d’éliminer « scientifiquement » l’origine juive de l’Occident, c’est bien ce que met en lumière, avec force, ce travail colossal. Voilà pourquoi il est passionnant, explosif, et n’a pas fini de faire parler.
Rappelons d’abord qui sont ces « Indo-Européens », qu’on trouve depuis deux siècles à tous les étages, du rayon « langues » au rayon « articles nazis ». Leur existence n’est qu’une pure hypothèse. Mais elle est déjà si ancienne, et devenue si féconde, en apparence, qu’une quasi-certitude paraît l’entourer. Tout a commencé au début du XIXe siècle, avec notamment la découverte du sanskrit. Les savants européens, constatant les similitudes frappantes existant dans le vocabulaire et la syntaxe du grec, du sanskrit, mais aussi de langues européennes et orientales très diverses (du suédois à l’ossète) ont imaginé, pour expliquer cette parenté troublante, l’existence d’un peuple originaire.
Ce peuple ancêtre, aïeul de ceux de l’Inde comme de l’Europe, aurait habité un premier foyer géographique – non déterminé – avant d’envahir tous azimuts, à l’aube des temps historiques, le continent européen aussi bien que le sous-continent indien. Mythes, structure sociale, représentations du monde de ces Indo-Européens auraient laissé d’innombrables traces, repérables par les sciences, dans des cultures rendues dissemblables par leur évolution ultérieure. Cette identité originaire – toujours à reconstituer à partir d’un puzzle d’indices – est devenue un pilier durable des sciences humaines. Furent édifiés, sur cette hypothèse, quantité de travaux de grammaire comparée (de Bopp à Benveniste), de mythologie comparée (Dumézil), d’étude de la protohistoire. Des politiques raciales s’en sont aussi emparées, de Gobineau à Rosenberg. Des mouvements conservateurs ou fascisants l’ont exploitée en tous sens. Mais le noyau historique passait pour fiable.
Peuple fantôme
Enfin Demoule vint. Il a tout lu, tout décrypté, examiné chaque pièce du puzzle. Avec verve, d’innombrables exemples en main, il montre qu’elles sont biaisées. Pour démonter cet immense jeu de Lego historico-politique, personne n’était mieux qualifié que ce professeur de protohistoire européenne à l’université de Paris-I, auteur de nombreux ouvrages et de centaines d’études sur le néolithique, l’archéologie, ses usages et ses mésusages. Il est formel : rien n’est solidement établi. Aucun consensus n’existe, à ce jour, sur le lieu d’origine, la langue possible ni même l’existence réelle de ce peuple fantôme. Tous les faits mobilisés se révèlent explicables autrement, par des hypothèses linguistiques et historiques moins romanesques, pas moins vraisemblables.Les conséquences de ces démonstrations se révèlent vertigineuses. S’il s’agissait simplement d’établir que des échafaudages intellectuels anciens sont devenus sujets à caution, la démarche intéresserait quelques experts, non un large public cultivé. Or le livre de Jean-Paul Demoule, par sa sagacité, son ampleur et sa pertinence, s’adresse à tout lecteur concernépar le statut des sciences humaines, mais surtout, plus généralement, par les visages de l’identité occidentale, les mythes du nazisme, l’invention des Aryens, la virulence actuelle des extrêmes droites, bref, la politique au présent.
Deux leçons de ce grand livre sont à méditer. La première touche à la place de la fiction dans les savoirs : au cœur des travaux les plus savants, en linguistique comme en archéologie ou en histoire, deux siècles durant, s’est développée et perfectionnée une pure et simple légende. La seconde leçon concerne le sens et la fonction de ce mythe : construire une origine de substitution, remplacer la réalité historique de l’héritage juif du christianisme et de l’Europe par la fiction d’un peuple « aryen » originaire, porteur d’une autre religion, d’une autre langue, d’autres valeurs. Il serait absurde de soutenir que tous ceux qui ont cru àil l’existence des Indo-Européens avaient ce projet en tête, de manière claire et explicite. Mais que ce mythe d’origine soit fondamentalement antijuif, que son sens profond soit d’éliminer « scientifiquement » l’origine juive de l’Occident, c’est bien ce que met en lumière, avec force, ce travail colossal. Voilà pourquoi il est passionnant, explosif, et n’a pas fini de faire parler.
Mais où sont passés les Indo-Européens ? Le mythe d’origine de l’Occident, de Jean-Paul Demoule, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 752 p., 27 €.
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