Découverte d’une tombe celte exceptionnelle
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Stéphane Foucart (Lavau, Aube, envoyé spécial)
Cette découverte, rendue publique mercredi 4 mars, est qualifiée d’« exceptionnelle » par les archéologues, tant par les dimensions du tumulus (de 30 à 40 mètres de diamètre) qui devait recouvrir la chambre mortuaire, que par la qualité du matériel mis au jour. Et le caveau de 14 m2, dont la fouille n’est pas achevée, recèle encore, sans doute, de nouvelles surprises.
Les fouilleurs ont déjà découvert des objets qui font de la tombe de Lavau un analogue de celles de Hochdorf (Allemagne) ou de la célèbre tombe de Vix (Côte-d’Or), découverte en 1953 à quelque 70 km de là.
Les caprices du prince
Un chaudron de bronze d’environ un mètre de diamètre, finement ouvragé, et dont les quatre anses sont ornées de têtes cornues du dieu grec Achéloos, est la pièce majeure des vestiges sortis de terre. Huit têtes de lionnes tirant malicieusement la langue ornent également le pourtour de ce chef-d’œuvre de la métallurgie du bronze. « Nous pensons que ce chaudron est de facture probablement étrusque, ou peut-être grecque », dit l’archéologue Emilie Millet, responsable du mobilier.D’autres objets de prestige, la plupart en provenance du monde méditerranéen, témoignent du pouvoir économique et politique du seigneur celte inhumé là voilà quelque vingt-cinq siècles. En particulier, le vase à boire, de fabrication grecque – ou œnochoe – retrouvé dans le chaudron, est une pièce sans équivalent. Cette céramique attique à figures noires, utilisée pour prélever le vin dans le chaudron au cours du banquet, est rehaussée, à son pied et à sa lèvre, d’une tôle d’or finement travaillée.
« Même dans les riches tombes grecques, on ne retrouve pas de tels objets », note l’archéologue Dominique Garcia, professeur à l’université d’Aix-Marseille et président de l’Inrap, pour qui les artisans grecs ont peut-être adapté leur production auxcaprices du prince barbare.
L’origine grecque de l’objet est certaine. Dionysos y est représenté dans une scène de banquet, allongé sous une vigne face à un personnage féminin. D’autres éléments de vaisselle liés à la consommation de boissons alcoolisées et à la pratique grecque du banquet – le symposium – ont été retrouvés. Notamment, une cuillère d’argent et d’or permettait de filtrer le vin des aromates avec lesquels il était mélangé.
Le sexe du défunt n’est toujours pas connu avec certitude – certains de ses ossements affleurent dans le caveau, mais ils n’ont pas encore été dégagés. Toutefois, la présence d’un poignard de bronze plaide pour un prince et non, comme ce fut le cas dans la tombe de Vix, pour une princesse. Mais, que le défunt de Lavau soit un homme ou une femme, le mobilier funéraire suggère une forme d’acculturation des élites celtes de cette époque aux pratiques du monde méditerranéen.
La richesse et le pouvoir de ces princes de la période du Hallstatt s’expliquent par leur situation stratégique, dans les hautes vallées de la Seine, de la Saône, du Rhin ou du Danube, d’où ils contrôlaient les échanges commerciaux entre le nord de l’Europe et la Méditerranée. « L’étain et l’ambre de la Baltique étaient deux denrées très recherchées en Méditerranée », note M. Garcia.Cadeaux diplomatiques ou fruits de droits de passage prélevés par les maîtres de ces principautés du centre de l’Europe, des objets de prestige du monde méditerranéen apparaissent dans le mobilier funéraire celte avec l’établissement et l’essor des colonies grecques occidentales. Marseille, fondée vers – 600, devient, deux à trois générations plus tard, une puissance économique incontournable et une porte d’entrée vers l’intérieur de la Gaule.
De manière énigmatique, les splendeurs du Hallstatt disparaissent brutalement vers –450. Le début d’urbanisation, entamé quelques décennies auparavant sous l’influence grecque, s’interrompt. Les premiers sites urbains européens sont désertés à cette époque, signe d’une rupture culturelle majeure largement inexpliquée.
A Lavau, les sépultures plus anciennes mises au jour montrent l’évolution des pratiques funéraires et notamment l’incinération des défunts. Une vingtaine d’urnes contenant des esquilles et des cendres remontent à l’âge du bronze, du XIVe siècle au Xe siècle avant J.-C., et étaient enterrées au centre de tumulus circulaires.
Ceux-ci restaient de taille modeste par comparaison avec le monument du prince hallstattien. Le tertre, érigé au-dessus du caveau du prince celte, a réuni les structures funéraires antérieures dans un même ensemble d’une emprise d’environ 7 000 m2, ceinturé par un profond fossé et une palissade. « Il s’agissait d’un monument de plusieurs mètres d’élévation qui devait, à l’époque, fortement marquer le paysage », explique Bastien Dubuis, l’archéologue responsable des fouilles. Cette grande structure a dû demeurer visible et imposante pendant de nombreux siècles et sans doute être durablement un lieu de mémoire. Des monnaies romaines y sont retrouvées, de même qu’une tombe d’enfant tardive (IIe siècle de notre ère). Ce n’est sans doute qu’au Moyen Age, estime M. Dubuis, que l’ensemble monumental a dû être écrêté, pour que le terrain soit rendu à l’agriculture. Aujourd’hui dévolu à l’extension de la ZAC, il devrait prochainement quitter la fonction agricole pour se plier au règne du préfabriqué.
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