La foire des fouilles
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Michel Guerrin
Le sujet est explosif depuis dix ans. Il est revenu dans l’actualité le 5 février, quand une centaine d’archéologues en colère ont bloqué les caisses du musée du Louvre pour dénoncer « la privatisation et la marchandisation du secteur ». Ils travaillent pour l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), entité qui appelle une explication. L’archéologue préventif fouille un site avant qu’il ne soit transformé en autoroute, en supermarché ou en musée. Calmons les fantasmes des Indiana Jones en herbe. Il s’agit d’ouvrir le sol, de mettre au jour un vestige, ou ce qu’il en reste, pendant quelques semaines, de le documenter, puis de laisser le champ libre aux tractopelles. « On fouille pour détruire », dit l’archéologue Frédéric Rossi. Cela constitue 90 % du métier en France.
Ces fouilleurs sont considérés comme « des emmerdeurs » par les élus ou promoteurs. Les premiers s’occupent des morts, les seconds des vivants. Les uns ralentissent un chantier, les autres veulent l’accélérer. Les archéologues pensent au patrimoine, les élus au coût.
Les élus, de gauche comme de droite, sont pourtant favorables à cette concurrence. L’ex-ministre de la culture Aurélie Filippetti n’est pas revenue sur ce principe et Fleur Pellerin ne changera pas de chemin. Car ce système a de gros avantages. C’est l’aménageur qui paie la fouille et choisit l’entité qui la fera, après appel d’offres. On imagine son choix…
La crispation est à son comble car le secteur est en crise. Les grands travaux, naguère en plein essor, sont en net recul depuis deux ans. La pression des élus et aménageurs est plus forte. « On est passé de 600 euros par jour et par homme à 400 euros », dit Frédéric Rossi, qui, outre sa société Archeodunum, dirige le Syndicat national des professionnels de l’archéologie. Et il faut aussi compter avec les archéologues des collectivités locales.
Les opérateurs privés ont-ils provoqué une baisse de qualité des fouilles ? Oui, dit l’Inrap. Faux, répondent les intéressés. Matthieu Poux, professeur d’archéologie à l’université Lyon-II, s’en inquiète, mais constate que les rapports de fouilles restent de qualité. « Ils ont baissé depuis deux ans », pense au contraire Dominique Garcia. Le problème est qu’il est difficile de savoir vraiment ce qu’il en est. Il y a des dizaines de fouilles préventives en France chaque année. C’est l’Etat, via ses agents en région, qui est chargé d’exercer ce contrôle, mais il manque de moyens.
Un rapport sur l’archéologie préventive vient d’être commandé à la députée Martine Faure (PS, Gironde) avec pour objectifs, dit-on au ministère de la culture, de corriger « les dysfonctionnements », « lutter contre le nivellement par le bas » et « accentuer les contrôles » avant et après la fouille. Les dispositions retenues seront inscrites dans la loi « Culture et création », qui sera présentée en septembre. Le débat risque d’être houleux, car des élus de tous bords y verront des freins à la construction.
Donc, plutôt que de mener une guerre stérile, les archéologues de l’Inrap feraient mieux de se montrer solidaires de ceux du privé et des collectivités locales. Pour améliorer les chantiers de fouille. Défendre les contrôles. Séduire les élus qui « s’offusquent de dépenser des milliers d’euros pour juste trouver des bouteilles de Coca-Cola », dit Matthieu Poux. Défendre, enfin, leur statut : « Quand je vois un conducteur de tractopelle, protégé du froid dans sa cabine, gagner plus qu’un archéologue qui a un BAC + 5 ou même un doctorat, et qui garde le feu sacré pour 2 000 euros par mois, ça me fait mal », regrette le professeur d’archéologie.
Ces fouilleurs sont considérés comme « des emmerdeurs » par les élus ou promoteurs. Les premiers s’occupent des morts, les seconds des vivants. Les uns ralentissent un chantier, les autres veulent l’accélérer. Les archéologues pensent au patrimoine, les élus au coût.
« Logique du BTP »
C’est une loi de 2001, votée par la gauche, qui crée l’Inrap et impose qu’un site soit fouillé avant construction. Et une loi de 2003, votée par la droite, qui ouvre le marché aux entreprises privées. Il en existe une vingtaine en France, qui, avec 700 archéologues environ, ont croqué autour de 50 % du marché à l’Inrap et ses 2 000 agents. Les archéologues du privé ont la même formation que ceux du public, leurs entreprises doivent être agréées. Pourtant, cette concurrence aurait des effets épouvantables, selon le premier président de l’Inrap, Jean-Paul Demoule, et l’actuel, Dominique Garcia : « Une boîte n’est plus choisie pour sa qualité mais parce qu’elle travaille vite et à bas prix. Notre mission de service public est sacrifiée au profit d’une logique du BTP. » Ils ajoutent que l’Etat a préféré brider l’Inrap pour favoriser le secteur privé.Les élus, de gauche comme de droite, sont pourtant favorables à cette concurrence. L’ex-ministre de la culture Aurélie Filippetti n’est pas revenue sur ce principe et Fleur Pellerin ne changera pas de chemin. Car ce système a de gros avantages. C’est l’aménageur qui paie la fouille et choisit l’entité qui la fera, après appel d’offres. On imagine son choix…
La crispation est à son comble car le secteur est en crise. Les grands travaux, naguère en plein essor, sont en net recul depuis deux ans. La pression des élus et aménageurs est plus forte
Les syndicats de l’Inrap stigmatisent les entreprises privées sans prendre de pincettes : agréments laxistes, prix cassés, délais réduits, emplois précaires, « profits indécents », sous-traitance à des sociétés étrangères, conditions de travail déplorables… Il est vrai que plusieurs sites ont fait les frais de fouilles bâclées. Mais les entreprises privées en ont ras le bol d’être traînées dans la boue. Eveha notamment, sans doute parce que c’est la plus grosse, avec plus de 200 salariés. Son fondateur, Julien Denis, est archéologue… et ancien de l’Inrap : « Tout ce que vous entendez est de la désinformation. On a été 30 % moins chers quand on a créé Eveha, en 2006, parce que l’Inrap facturait anormalement cher. Aujourd’hui, nous sommes 30 % plus chers qu’eux ! Et nos conditions de travail sont au moins aussi bonnes que les leurs. »La crispation est à son comble car le secteur est en crise. Les grands travaux, naguère en plein essor, sont en net recul depuis deux ans. La pression des élus et aménageurs est plus forte. « On est passé de 600 euros par jour et par homme à 400 euros », dit Frédéric Rossi, qui, outre sa société Archeodunum, dirige le Syndicat national des professionnels de l’archéologie. Et il faut aussi compter avec les archéologues des collectivités locales.
Les opérateurs privés ont-ils provoqué une baisse de qualité des fouilles ? Oui, dit l’Inrap. Faux, répondent les intéressés. Matthieu Poux, professeur d’archéologie à l’université Lyon-II, s’en inquiète, mais constate que les rapports de fouilles restent de qualité. « Ils ont baissé depuis deux ans », pense au contraire Dominique Garcia. Le problème est qu’il est difficile de savoir vraiment ce qu’il en est. Il y a des dizaines de fouilles préventives en France chaque année. C’est l’Etat, via ses agents en région, qui est chargé d’exercer ce contrôle, mais il manque de moyens.
« Nivellement par le bas »
L’Inrap a une idée radicale pour améliorer les choses : revenir à un « pôle public de l’archéologie préventive ». Fermer les entreprises privées et que leurs 700 archéologues rejoignent l’Inrap. On n’en prend pas le chemin. Le concept de monopole n’est pas à la mode. Et puis une fusion laisse souvent pas mal de gens sur le carreau. Pas sûr encore que l’Institut soit armé pour répondre aux demandes de fouilles, d’autant qu’il n’est pas perçu comme un modèle de gestion, notamment par la Cour des comptes en 2013.Un rapport sur l’archéologie préventive vient d’être commandé à la députée Martine Faure (PS, Gironde) avec pour objectifs, dit-on au ministère de la culture, de corriger « les dysfonctionnements », « lutter contre le nivellement par le bas » et « accentuer les contrôles » avant et après la fouille. Les dispositions retenues seront inscrites dans la loi « Culture et création », qui sera présentée en septembre. Le débat risque d’être houleux, car des élus de tous bords y verront des freins à la construction.
Donc, plutôt que de mener une guerre stérile, les archéologues de l’Inrap feraient mieux de se montrer solidaires de ceux du privé et des collectivités locales. Pour améliorer les chantiers de fouille. Défendre les contrôles. Séduire les élus qui « s’offusquent de dépenser des milliers d’euros pour juste trouver des bouteilles de Coca-Cola », dit Matthieu Poux. Défendre, enfin, leur statut : « Quand je vois un conducteur de tractopelle, protégé du froid dans sa cabine, gagner plus qu’un archéologue qui a un BAC + 5 ou même un doctorat, et qui garde le feu sacré pour 2 000 euros par mois, ça me fait mal », regrette le professeur d’archéologie.
Michel Guerrin
Journaliste au Monde
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