Paléontologie : une mandibule africaine vieillit le genre humain de 400 000 ans
Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Pascaline Minet ("Le Temps")
Ce n’est qu’un morceau de mâchoire muni de quelques dents mais il en dit long sur l’histoire de l’humanité. Plusieurs équipes de chercheurs décrivent ce jeudi dans les revues Science et Nature un fossile d’hominidé mis au jour dans la région de l’Afar au Nord-Est de l’Ethiopie. Datant d’il y a 2,8 millions d’années, il constituerait la trace la plus ancienne jamais retrouvée d’un représentant du genre Homo, dont fait partie l’homme moderne. Jusqu’alors, les spécialistes situaient leur apparition quelque 400 000 ans plus tard, soit il y a 2,4 millions d’années. Les conditions de cette émergence, dans un environnement naturel en pleine métamorphose, sont par ailleurs éclairées par une autre étude, aussi parue dans Science.
C’est le paléontologue éthiopien Chalachew Seyoum, de l’Université d’Etat d’Arizona, qui a mis la main sur le précieux fossile, lors d’une campagne de fouille menée en janvier 2013 sur le site de Ledi-Geraru, dans l’état éthiopien de l’Afar. Une région célèbre chez les paléontologues en raison des nombreux restes d’hominidés qui y ont déjà été découverts. Parmi ceux-ci, la célèbre australopithèque «Lucy», mise au jour en 1974 et datant d’il y a environ 3,2 millions d’années. Désigné dans le catalogue de fouilles sous le nom de «LD 350-1», le fossile de Ledi-Geraru correspond à la partie gauche de la mandibule d’un individu adulte. Deux prémolaires et trois molaires y sont toujours fixées.
Pour en estimer l’âge, des géologues de l’Université d’Etat de Pennsylvanie ont étudié les roches volcaniques qui l’entouraient sur le site. Leurs analyses d’isotopes radioactifs ont permis d’établir un âge d’environ 2,8 millions d’années. «La région de l’Afar, située dans la vallée du grand rift africain, connaît un phénomène d’expansion tectonique, qui a permis à ces roches vieilles de 2,8 millions d’années d’être déposées, puis exposées à l’air libre à travers un processus d’érosion et lors de l’apparition de failles géologiques», explique Erin DiMaggio, géologue à l’Université d’Etat de Pennsylvanie. Le plus vieux fossile attribué au genre Homo connu jusqu’alors, baptisé «AL 666-1», est d’ailleurs issu lui aussi de l’Afar; il date d’il y a environ 2,3 à 2,4 millions d’années.
Se penchant sur les caractéristiques de la mandibule LD 350-1, les anthropologues de l’Université d’Etat d’Arizona ont relevé certaines ressemblances avec celle d’Australopithecus afarensis, l’espèce dont fait partie Lucy: la forme fuyante du menton notamment. Une observation pas forcément étonnante dans la mesure où les spécimens les plus récents de l’australopithèque sont âgés «seulement» de 200 000 ans de plus que la mandibule de LD 350-1. Néanmoins, ce dernier possède aussi des attributs plutôt «modernes», se retrouvant beaucoup plus tard chez les représentants du genre Homo: la proportion globale de la mâchoire, les molaires fines et les prémolaires symétriques.
«Jusqu’alors, la période allant de -3 à -2 millions d’années n’était documentée que par un petit nombre de fossiles. Il s’agit pourtant d’une époque cruciale pour l’évolution humaine, puisqu’elle a vu naître notre propre lignée», s’enthousiasme Brian Villmoare, de l’Université du Nevada, qui a pris part à l’étude. «Ce nouveau fossile, qui possède des caractères propres aux australopithèques et d’autres spécifiques aux premiers Homo, illustre bien la transition entre ces deux groupes, estime de son côté William Kimbel, de l’Université d’Etat d’Arizona, co-auteur de l’étude. Mais le fait que LD 350-1 présente des spécialisations typiques du genre Homo le classe avec certitude dans cette catégorie.» A la question «un morceau de mandibule est-il suffisant pour attribuer à un individu une place dans notre arbre généalogique?», le paléontologue botte en touche: «Un squelette complet ne garantit de toute façon pas l’absence de débat».
Reste à savoir ce qui, autour de -2,8 millions d’années, a déclenché la transition des australopithèques vers le genre Homo, maîtrisant mieux la bipédie et capable d’utiliser des outils de pierre. Une hypothèse couramment avancée est celle d’un changement du climat, qui aurait entraîné une aridification de l’environnement. Celle-ci aurait alors favorisé les espèces moins arboricoles et plus adaptées aux paysages ouverts de la savane. Une théorie qui semble en partie étayée par une autre étude publiée dans Science cette semaine.
Outre l’époque et la cause de leur émergence, la séquence précise de d’apparition des premiers Homo et les différents acteurs impliqués continuent aussi à faire débat. «Nous savons qu’il y a 2 millions d’années, trois espèces d’Homo vivaient en Afrique: Homo habilis, Homo rudolfensis, et sans doute des représentants précoces de Homo erectus», indique Fred Spoor, du University College de Londres. Pour clarifier les liens de parenté entre ces différents espèces, l’anthropologue a eu l’idée de reconstruire virtuellement le fossile du premier Homo habilis décrit en 1964, et de le comparer aux restes d’autres représentants du genre Homo.
Ses résultats, publiés dans la revue Nature de manière concomitante aux études de Science, confirme la grande diversité du genre Homo. Surprise: ils suggèrent aussi l’existence d’un ancêtre commun au genre Homo qui aurait vécu il y a plus de 2,3 millions d’années. Est-il possible que ce dernier soit l’hominidé découvert à Ledi-Geraru? «Grâce à notre reconstitution digitale d’Homo habilis, nous pouvions nous faire une idée de la nature de son ancêtre, mais aucun fossile existant ne lui correspondait jusque-là, dit Fred Spoor. C’est alors que la mandibule de LD 350-1 est arrivée comme « sur demande », offrant effectivement un lien possible entre Autralopithecus afarensis et Homo habilis. C’est vraiment une belle découverte!»
C’est le paléontologue éthiopien Chalachew Seyoum, de l’Université d’Etat d’Arizona, qui a mis la main sur le précieux fossile, lors d’une campagne de fouille menée en janvier 2013 sur le site de Ledi-Geraru, dans l’état éthiopien de l’Afar. Une région célèbre chez les paléontologues en raison des nombreux restes d’hominidés qui y ont déjà été découverts. Parmi ceux-ci, la célèbre australopithèque «Lucy», mise au jour en 1974 et datant d’il y a environ 3,2 millions d’années. Désigné dans le catalogue de fouilles sous le nom de «LD 350-1», le fossile de Ledi-Geraru correspond à la partie gauche de la mandibule d’un individu adulte. Deux prémolaires et trois molaires y sont toujours fixées.
Pour en estimer l’âge, des géologues de l’Université d’Etat de Pennsylvanie ont étudié les roches volcaniques qui l’entouraient sur le site. Leurs analyses d’isotopes radioactifs ont permis d’établir un âge d’environ 2,8 millions d’années. «La région de l’Afar, située dans la vallée du grand rift africain, connaît un phénomène d’expansion tectonique, qui a permis à ces roches vieilles de 2,8 millions d’années d’être déposées, puis exposées à l’air libre à travers un processus d’érosion et lors de l’apparition de failles géologiques», explique Erin DiMaggio, géologue à l’Université d’Etat de Pennsylvanie. Le plus vieux fossile attribué au genre Homo connu jusqu’alors, baptisé «AL 666-1», est d’ailleurs issu lui aussi de l’Afar; il date d’il y a environ 2,3 à 2,4 millions d’années.
Se penchant sur les caractéristiques de la mandibule LD 350-1, les anthropologues de l’Université d’Etat d’Arizona ont relevé certaines ressemblances avec celle d’Australopithecus afarensis, l’espèce dont fait partie Lucy: la forme fuyante du menton notamment. Une observation pas forcément étonnante dans la mesure où les spécimens les plus récents de l’australopithèque sont âgés «seulement» de 200 000 ans de plus que la mandibule de LD 350-1. Néanmoins, ce dernier possède aussi des attributs plutôt «modernes», se retrouvant beaucoup plus tard chez les représentants du genre Homo: la proportion globale de la mâchoire, les molaires fines et les prémolaires symétriques.
«Jusqu’alors, la période allant de -3 à -2 millions d’années n’était documentée que par un petit nombre de fossiles. Il s’agit pourtant d’une époque cruciale pour l’évolution humaine, puisqu’elle a vu naître notre propre lignée», s’enthousiasme Brian Villmoare, de l’Université du Nevada, qui a pris part à l’étude. «Ce nouveau fossile, qui possède des caractères propres aux australopithèques et d’autres spécifiques aux premiers Homo, illustre bien la transition entre ces deux groupes, estime de son côté William Kimbel, de l’Université d’Etat d’Arizona, co-auteur de l’étude. Mais le fait que LD 350-1 présente des spécialisations typiques du genre Homo le classe avec certitude dans cette catégorie.» A la question «un morceau de mandibule est-il suffisant pour attribuer à un individu une place dans notre arbre généalogique?», le paléontologue botte en touche: «Un squelette complet ne garantit de toute façon pas l’absence de débat».
Reste à savoir ce qui, autour de -2,8 millions d’années, a déclenché la transition des australopithèques vers le genre Homo, maîtrisant mieux la bipédie et capable d’utiliser des outils de pierre. Une hypothèse couramment avancée est celle d’un changement du climat, qui aurait entraîné une aridification de l’environnement. Celle-ci aurait alors favorisé les espèces moins arboricoles et plus adaptées aux paysages ouverts de la savane. Une théorie qui semble en partie étayée par une autre étude publiée dans Science cette semaine.
Un paysage moins arboré que celui qu’a connu Lucy
Pour tirer l’affaire au clair, des paléontologues des Universités d’Etat d’Arizona et de Pennsylvanie ont étudié les fossiles de mammifères présents sur le site de Ledi-Geraru à la même époque que la mandibule LD 350-1. Ils ont ainsi découvert que la faune de cette période – des antilopes, éléphants, crocodiles et autres hippopotames – correspondait justement à celle d’un milieu ouvert et parcouru de cours d’eau, comme on peut le trouver actuellement dans le Parc national de Seregenti en Tanzanie. Un paysage nettement moins arboré que celui reconstitué en lien avec les restes de l’australopithèque Lucy. Est-ce assez pour étayer la thèse que la transformation du milieu est directement à l’origine de l’émergence du genre Homo? «Il est encore trop tôt pour l’affirmer, tempère Kaye Reed, de l’Université d’Etat d’Arizona. Il nous faut davantage de fossiles, et c’est pourquoi nous continuons nos recherches sur le terrain.»Outre l’époque et la cause de leur émergence, la séquence précise de d’apparition des premiers Homo et les différents acteurs impliqués continuent aussi à faire débat. «Nous savons qu’il y a 2 millions d’années, trois espèces d’Homo vivaient en Afrique: Homo habilis, Homo rudolfensis, et sans doute des représentants précoces de Homo erectus», indique Fred Spoor, du University College de Londres. Pour clarifier les liens de parenté entre ces différents espèces, l’anthropologue a eu l’idée de reconstruire virtuellement le fossile du premier Homo habilis décrit en 1964, et de le comparer aux restes d’autres représentants du genre Homo.
Ses résultats, publiés dans la revue Nature de manière concomitante aux études de Science, confirme la grande diversité du genre Homo. Surprise: ils suggèrent aussi l’existence d’un ancêtre commun au genre Homo qui aurait vécu il y a plus de 2,3 millions d’années. Est-il possible que ce dernier soit l’hominidé découvert à Ledi-Geraru? «Grâce à notre reconstitution digitale d’Homo habilis, nous pouvions nous faire une idée de la nature de son ancêtre, mais aucun fossile existant ne lui correspondait jusque-là, dit Fred Spoor. C’est alors que la mandibule de LD 350-1 est arrivée comme « sur demande », offrant effectivement un lien possible entre Autralopithecus afarensis et Homo habilis. C’est vraiment une belle découverte!»
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